Caves et greniers ont longtemps été les parents pauvres des études consacrées à la maison médiévale urbaine, qui s’attardent plus volontiers sur les pièces à la mise en œuvre plus soignée du logis ou sur les espaces à vocations artisanales ou commerciales plus loquaces, tels les boutiques.
Les deux caractéristiques principales de la cave: sa situation enterrée et sa fonction de stockage, semblent lui assigner, de fait, un rôle subalterne dans la maison. La cave apparaît de plus comme un espace facultatif, absent parfois à l’échelle de toute une agglomération, fût-elle de l’importance de Montpellier, ou aussi riche en maisons médiévales étudiées que Figeac (Lot) ou Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne). Les synthèses consacrées à la maison médiévale urbaine en France ne lui accordent donc que peu de place. Lorsque les caves sont présentes, elles participent cependant pleinement à l’économie générale de la maison urbaine, comme extensions en sous-sol, aux usages domestiques ou indépendants. Elles peuvent aussi être les témoins précieux de villes médiévales quasiment disparues en élévation et sont, dans ce cas, l’objet des études les plus abouties ou des analyses archéologiques les plus fines, alors même qu’elles sont pourtant isolées et privées de leur contexte monumental par la disparition des maisons auxquelles elles appartenaient.
Nous nous attacherons principalement ici aux espaces définis conjointement par une situation en sous-sol et une fonction de stockage, qualités que nous examinerons successivement pour présenter quelques pistes de réflexion et de recherche appuyées pour l’essentiel sur des exemples publiés dans les régions Aquitaine, Limousin, Auvergne, Midi-Pyrénées, et quelques sites encore inédits dans le Poitou-Charentes. Les études les plus approfondies ayant été menées sur des corpus septentrionaux, nous y ferons fréquemment référence.
Un rapide aperçu de la bibliographie consacrée aux caves des maisons médiévales donne une image contrastée entre le nord de la France, pourvu de vastes ensembles de caves architecturées qui passent pour être bien connues: Provins, Vézelay, Arras, Laon, Beauvais, Rouen, Chartres, Sens, Cluny… et le sud qui, malgré l’étude déjà ancienne des caves de Bayonne par Élie Lambert (1), n’offrirait pas de tels ensembles. L’évolution de la recherche sur les maisons médiévales tend à nuancer cette vision. Si de nouvelles et ambitieuses études ont encore enrichi le corpus septentrional et surtout ont permis de définir les bases de son analyse structurelle et archéologique à Rouen (2), Lille (3) et Douai (4), les inventaires systématiques menés à l’échelle d’agglomérations et les opérations d’archéologie préventive en milieu urbain contribuent depuis quelques années à combler le déficit d’informations pour le sud. En Aquitaine, plusieurs caves de Périgueux avaient déjà été recensées et relevées dans les années 1960 (5). Dans le Limousin, le réseau des sous-sols de Limoges est étudié depuis plusieurs années (6) et les caves remarquables de plusieurs villes secondaires avaient déjà été anciennement signalées à Saint-Junien, au Chalard, à La Souterraine, à Saint-Léonard-de-Noblat (7). Leur étude s’est poursuivie et de nouveaux ensembles ont été constitués et étudiés comme à Donzenac (8). En Auvergne, dans le Puy-de-Dôme, les caves architecturées sont très nombreuses à Riom, Clermont, Montferrand, Billom (9). Au Puy-en-Velay, une étude récemment publiée des maisons romanes fait apparaître également un beau corpus de caves (10). En Midi-Pyrénées, les villes de Rodez (11) et Millau (12) recèlent un patrimoine bâti civil médiéval riche et plusieurs caves voûtées y ont été dernièrement inventoriées; l’étude de la ville de Cahors fournit de beaux exemples de monographies de maisons et palais pourvus de caves (13); à Toulouse, les études de quelques maisons médiévales (14) et l’inventaire en cours du bâti de la ville également.
Dans des régions où l’architecture civile médiévale est mal conservée et largement méconnue, des études ponctuelles montrent que les caves médiévales peuvent être nombreuses comme dans les Charentes à Pons (15) ou dans le Poitou à Airvault, Melle, Montmorillon ou encore Charroux. Une ville de l’importance de Poitiers, où le réseau de caves est très étendu, parfois sur trois à quatre niveaux, reste encore cependant un terrain quasiment vierge de recherche (16).
Si notre propos porte essentiellement sur le Sud-Ouest, signalons tout de même que les caves sont peu fréquentes dans les villes provençales. Dans le Gard, la présence de cave est rarissime, à Saint-Gilles la haute cave voûtée d’ogives plates de la fin du XIIe siècle reste une exception (17) et les plus grandes demeures à Nîmes ou Pont- Saint-Esprit en sont dépourvues. Même constat dans le Var, avec des exceptions notables à Draguignan et à Hyères (18). Dans les Alpes-de-Haute-Provence, un quartier de Forcalquier a, en revanche, récemment fait l’objet d’un diagnostic archéologique mettant au jour près d’une vingtaine de caves médiévales (fig. 1) (19).
À Montpellier, enfin, les exemples de caves sont très rares. Exclusivement présentes dans des maisons patriciennes, elles sont créées par un plancher qui recoupe un haut espace voûté à hauteur des tailloirs, placés au niveau de la chaussée, sur lesquels retombent les nervures de la voûte, ménageant ainsi une pièce en sous-sol. Dans l’ensemble, les caves excavées paraissent tardives, comme en témoignent les nombreuses mentions dans des contrats du XVIIe siècle prévoyant leur creusement en sous-œuvre (20).
La nature du substrat sur lequel les villes sont édifiées semble être le facteur déterminant de la présence de caves. Si, à l’instar de Lille, des villes au substrat de piètre qualité possèdent malgré tout des caves, pour des raisons que nous évoquerons plus loin, il ne semble pas qu’il y ait de ville où un sous-sol de bonne qualité n’ait été exploité. Le creusement des caves y est alors généralement répandu dans l’espace comme dans le temps et des villes comme Périgueux, Limoges, Riom… possèdent ainsi de vastes corpus de caves de formes variées construites tout au long du Moyen Âge et de l’Époque moderne.
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Terminologie
Les sources médiévales désignent ces espaces par des termes relatifs soit à leur situation enterrée soit à leur fonction de stockage. À Bayonne jusqu’au XVIIe siècle (21), ainsi qu’à Donzenac (22), on les appelle « souterrains » ou subterraneum. Sur le promontoire d’Angles-sur-l’Anglin (Vienne), ce sont des rochas, situées à proximité immédiate d’un pressoir dit torcular (23). Des croto sont mentionnés à Riom dans le projet de charte d’Alphonse de Poitiers de 1249, où ils se distinguent des guarena, qui seraient davantage des cavernes ou des refuges souter- rains (24). Le terme crota apparaît également dans le compoix du Puy-en-Velay en 1408 (25) mais aussi à Arles et Viviers où les crotes ne sont cependant que des niveaux de soubassement partiellement creusés dans le rocher (26).
Dans les villes du Nord, le terme bove, qui est encore en usage, apparaît déjà dans les sources médiévales.Alors qu’à Arras les boves sont de vastes espaces excavés dont le creusement a alimenté les chantiers de la ville en pierre de construction, à Douai le substrat était trop médiocre pour qu’il ait pu s’agir de carrières, et les sources mentionnent des maçonneries et des voûtes évoquant sans ambiguïté des caves (27). À Provins, les censiers du XIVe siècle utilisent le plus fréquemment le terme de volte ou « voûte » (28).
Lorsque la qualification se fait par la fonction, pour le cellier par exemple, il est plus difficile de savoir quel est l’espace désigné. Fréquemment employé pour nommer les caves dans les textes des XIIe et XIIIe siècles à Rouen, le terme cellarium désigne une fonction de stockage de denrées qui ne se rapportait peut-être pas systématiquement à des caves. Seules certaines mentions supposent une position basse de cet espace: « in cellario quod est subter nostram domum lapideam » (29). À Lille et à Douai, les celliers sont présents dans les comptes des villes au XVe siècle, dans des descriptions explicites, par exemple dans les comptes de la ville de Douai en 1464 : « brancques d’ogives fais pour le voulsure de l’un des plat cheliers desoubz les noeuves halles » (30). En outre, à Douai les termes « cellier » et bove désignent parfois un espace identique à quelques mois d’intervalle.
À Toulouse, dans les comptes de construction du collège de Périgord, les caves de l’hôtel Maurand sont désignées littéralement comme des lieux de stockage bas: penus bassa (31), ce qui pourrait être rapproché des resserres dites penore, présentes aux rez-de-chaussée ou niveaux de soubassement et à proximité des cuisines à Viviers (Ardèche) (32). Aux environs de 1470, dans la description en langue d’oc d’une maison du XIVe siècle de Rodez pourvue d’une cave, le terme tavernal semble y faire référence (33).
Les termes employés dans les sources médiévales sont donc d’une interprétation difficile: le cellier n’est pas nécessairement en sous-sol et le souterrain n’est pas forcément une cave. Nous allons voir que l’examen des structures ne permet pas de circonscrire davantage la définition de ces espaces, tant les formes des caves et leurs usages sont multiples.
Structures et formes des caves
Implantation
En contexte urbain, la cave est située sous la maison. L’évidence de cette affirmation mérite toutefois d’être illustrée et nuancée. La grande majorité des salles principales des caves du XIIIe au XVe siècle sont implantées, comme les maisons, perpendiculairement à la rue dans des parcellaires étroits divisant les fronts de rue très prisés entre un maximum d’usagers. À Riom, Clermont ou Montferrand, leur emprise, identique à celle des édifices qui les surmontent, respecte ce parcellaire régulier. Cependant, dans les centres des villes où la pression foncière est importante, les caves constituent un gain de place appréciable sous la maison, mais aussi au-delà en s’étendant fréquemment sous la rue ou la place. Comme pour les étages en encorbellement, l’empiètement sur l’espace public en sous-sol fait l’objet de réglementations. Les pouvoirs publics arguent pour ce faire des dangers d’affaissement ou d’effondrement que représentent ces creusements lorsqu’ils s’étendent sous la voierie.
L’excroissance sous la rue peut être une simple excavation creusée ou un espace architecturé supplémentaire comme à Rodez place du Bourg (34) ou sous la rue de la Clarté à Périgueux, constituant parfois une véritable pièce.
L’extrémité de la salle de la cave peut aussi simplement dépasser sous la voie comme à Bayonne. Lorsque la maison ou l’hôtel dispose d’un espace libre, une cour, la cave peut s’étendre largement dessous.Mais les excavations peuvent aussi prendre des formes diverses, échappant parfois totalement à l’emprise du parcellaire au sol avec des ramifications qui peuvent créer de véritables réseaux souterrains, comme à Limoges où il arrive qu’elles s’étendent sur quatre niveaux (35), et particulièrement dans les terrains qui ont servi de carrières, à Saint-Émilion (Gironde) ou Pons (Charente-Maritime) par exemple. Les réseaux karstiques naturels peuvent également être occupés et aménagés, comme à Charroux (Vienne). Les caves y sont parfois affranchies du cadre bâti de la maison, installées dans les coteaux et accessibles de plain-pied depuis les cours ou des espaces couverts.
Le plus grand nombre des salles principales des caves offrent un espace unitaire de plan quadrangulaire, mais les plus élaborées comportent plusieurs vaisseaux séparés par des supports, colonnes à Bayonne ou Saint-Léonard- de-Noblat (Haute-Vienne), piliers quadrangulaires à Riom (Puy-de-Dôme). À Montferrand, rue Parmentier, et à Billom (Puy-de-Dôme) se trouvent également plusieurs caves de plan centré autour d’une colonne. Sous des édifices vastes on peut trouver des caves jumelles, formées de deux vaisseaux contigus voûtés en berceaux qui communiquent entre eux, à Pons, à Charroux, rue des Lazaristes à Figeac, à Rocamadour, ou encore à Forcalquier (Alpes-de-Haute- Provence). Enfin, les caves formées d’une succession d’espaces hétérogènes ne sont pas rares. Ils peuvent être disposés en alignement, comme dans une longue cave de la place de la Clautre à Périgueux, ou latéralement à la pièce centrale, comme dans la cave de la rue de la Batterie à Charroux.
Les caves creusées
La forme la plus rudimentaire de la cave est la structure excavée dans le substrat sans habillage ou renfort de maçonnerie. La finalité première de ces creusements n’est pas nécessairement la création d’un espace de sous-sol à la maison. Les carrières d’extraction de matériaux de construction, à même le substrat sur lequel s’élève la ville, offrent de vastes espaces qui sont remployés dans les maisons. À Pons (fig. 2) et à Saint- Émilion, si les galeries offrent encore les dispositifs propres à l’exploitation de la pierre (36), notamment les piliers réservés, elles sont aussi adaptées à leur usage domestique: de larges escaliers monoli- thes ou maçonnés y descendent, des fosses à latrines ou des glacières y sont ménagées.
Quelques exemples singuliers de caves creusées dans l’enceinte de ville de l’Antiquité tardive se rencontrent à Poitiers. Elles sont pratiquées à l’intérieur du soubassement du rempart entièrement construit en gros blocs calcaires récupérés dans les édifices antiques. Leurs parois sont alors formées par les blocs de parement du soubassement du rempart et leur couvrement, horizontal, par le béton du blocage de la partie supérieure du rempart.
Les caves architecturées
Avec une mise en œuvre souvent moins soignée que celle réservée aux élévations de la maison, les caves pourraient être un lieu privilégié pour l’examen des techniques de construction. Leurs parements sont le plus fréquemment dépourvus d’enduit et conservent des traces apparentes du chantier, comme, par exemple, les négatifs des planches de coffrage sur l’intrados des voûtes ou encore les trous d’encastrement des cintres. En outre, contrairement aux pièces d’habitation, les caves ont la plupart du temps échappé aux multiples remaniements des époques modernes et contemporaines.
Pourtant, les observations techniques appuyées d’analyses archéologiques, tant du bâti que des niveaux d’occupation, sont rares, a fortiori dans le sud de la France (37). Plusieurs points méritent cependant d’être rapidement évoqués.
Dans les substrats de bonne qualité, qui offrent une assise stable à la construction, il n’est pas rare que les parois conservent complètement ou en partie la roche nue, ce qui est vrai également pour de nombreux niveaux de soubassement de sites escarpés, à Viviers (Ardèche) par exemple (38). Les voûtes sont alors appuyées sur un retrait pratiqué dans la roche, parfois souligné d’un cordon (fig. 3). Là où le substrat est de piètre qualité, les murs forment des parois plus sûres à la cave et, lorsque la cave appartient au projet initial, ils servent également de fondations à la maison. La cave, a fortiori voûtée, constitue alors le socle de la maison. La voûte solidarise et chaîne entre eux les murs latéraux. En outre, les poussées latérales exercées par les voûtes ne posent pas en sous-sol les problèmes rencontrés sur les élévations hors-sol. Dans une cave voûtée, les poussées exercées sur les murs par un substrat de mauvaise qualité peuvent être au contraire contenues par le berceau ou les arêtes. Les murs peuvent être renforcés de grands arcs de décharge, plus ou moins soigneusement appareillés, parfois sans mur maçonné sous l’intrados, ce qui apparente alors les parois de la cave à de véritables fondations sur arcs, 2 rue Pasteur à Pons par exemple. Dans certains cas, les arcs retombent sur des supports engagés dans les murs latéraux, comme les colonnes engagées surmontées de chapiteaux tronconiques lisses à la maison Payrol à Bruniquel (Tarn-et-Garonne). De semblables structures, et qui plus est dans un substrat de mauvaise qualité, ont amené Jean-Denis Clabaut à proposer une hypothèse hardie quant au mode de creusement et de construction des caves de Douai et Lille. Supports, arcs et sommets des murs latéraux auraient été établis en premier dans des tranchées étroites, puis la voûte construite entre eux, sur la terre faisant office de cintre. Enfin, la maçonnerie de la voûte prise, la cave était creusée. Les questions relatives au creusement d’une cave au début du chantier de construction d’une maison restent un domaine d’exploration quasiment vierge, il en est de même du creusement en sous-œuvre sous des maisons existantes ou encore des pièces des niveaux inférieurs creusées postérieurement à un premier niveau de sous-sol, comme de la construction de voûtes dans ces espaces contraints par les élévations existantes ou environnantes.
Les caves voûtées sont partout plus nombreuses que les caves planchéiées, même s’il ne faut pas sous-estimer le nombre de celles-ci. Les arguments traditionnellement avancés pour expliquer l’emploi de la voûte sont la prévention des incendies et des vols des denrées stockées. La voûte permet aussi de couvrir un espace sans nécessité de disposer de bois longs. La question du choix des couvrements voûtés mériterait d’être approfondie en mettant en parallèle l’étude des caves et celle des rez-de-chaussée ou niveaux de soubassement voûtés, dont la présence peut être très marquée dans les villes où il n’y a pas de caves comme Montpellier ou Viviers.
L’étude des caves permet surtout de voir à quel point les voûtes s’adaptent avec souplesse à tous types de plans et de structures, mi-excavées mi-architecturées. L’adoption des solutions très variées et parfois hybrides déroute toutes tentatives d’analyse trop évolutionniste appuyée sur leur seule forme.
Un standard intemporel: la voûte en berceau
Au Moyen Âge, comme semble-t-il à l’Époque moderne, la forme de cave la plus répandue est la cave quadrangulaire, voûtée d’un berceau continu ou scandé de doubleaux.Les villes dans lesquelles des caves médiévales ont été recensées comportent toutes des voûtes en berceaux: Bayonne, Périgueux, Riom, Le Puy-en-Velay… La voûte en berceau est également adoptée pour couvrir les niveaux de soubassement peu ouverts qui s’apparentent à des caves comme à Rocamadour, Figeac, ou de façon plus exceptionnelle à Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne) rue de la Pélisserie. Tous les types de mise en œuvre des voûtes en berceau se rencontrent, des plus frustes en moellons coffrés, abondamment répandus et difficiles à dater, aux plus soignés dont la construction emprunte les formules les plus abouties de chaque époque. Les caves de la rue Saint-Gilles au Puy-en-Velay avec un appareillage très soigné des voûtes, de leurs arêtes, de leurs oculi et des trémies des escaliers en sont un bon exemple.
Dans les villes où les caves sont nombreuses, la pérennité de la formule de la cave quadrangulaire couverte d’un berceau les rend difficile à dater. À Pons par exemple, où la construction en grand appareil calcaire se poursuit du XIIe au XIXe siècle, il est parfois impossible de dater par les formes seules les nombreuses caves voûtées en berceau recensées. L’exercice est encore plus difficile dans le cas de berceaux coffrés construits en moellons posés de chant comme à Saint-Léonard-de-Noblat. À Bayonne, outre le beau corpus de caves médiévales voûtées d’ogives qui sera évoqué plus bas, les caves les plus nombreuses sont également celles voûtées en berceau plein-cintre construit en moellon sans doubleau. Elles y apparaîtraient au XVIe siècle et leur construction perdure jusqu’au XIXe siècle.
Des architectures marquées par des éléments caractéristiques peuvent cependant parfois être datées par l’analyse des formes. À Charroux, la cave dite «de la monnaie », rue des Bancs, est vraisemblablement une des plus anciennes de la ville. Son vaisseau unique est couvert d’un haut berceau légèrement brisé en moellon, scandé de doubleaux reposant sur des demi-colonnes engagées par l’intermédiaire de chapiteaux lisses tronconiques très trapus (fig. 5). Un cordon chanfreiné souligne le départ de la voûte. Les chapiteaux ainsi que la mise en œuvre des supports évoquent le XIe siècle (39). Plus tard dans le XIIe siècle, le berceau de la cave des bâtiments annexes de l’hôpital de Pons est construit en grand appareil très allongé avec des joints minces. Un cordon en quart de rond et bandeau court à la base de la voûte et un large tore marque la rencontre du berceau et du mur pignon.
À Cahors, les datations des caves dépendent surtout de l’analyse des édifices auxquels elles appartiennent, les matériaux et leur mise en œuvre n’étant dans ce cas que de peu de secours. Celles qui sont voûtées le sont de berceaux en plein cintre, appareillés en pierre ou en brique. L’hôtel du n° 52 rue de Lastié en fournit un bel exemple de la deuxième moitié du XIIIe siècle (fig. 6 et 7).
Voûtements d’arêtes et d’ogives
Sur des vaisseaux uniques, comme multiples et séparés par des colonnes ou des piliers, les voûtes d’arêtes et d’ogives dégagent les murs latéraux de l’emprise des reins du berceau. À Douai et à Lille, les caves pourvues de voûtes d’arêtes sont en outre plus hautes, en moyenne d’un mètre, que celles voûtées en berceau. À Saint-Léonard-de-Noblat, les voûtes d’arêtes couvrent des caves de un à deux vaisseaux de plusieurs travées. Les supports qui divisent les vaisseaux sont des colonnes pourvues de chapiteaux trapus à crochets ou à boules des années 1300. À Riom, les caves à l’architecture la plus soignée sont construites au cours du XIVe siècle. De plan allongé, elles comportent plusieurs travées voûtées d’arêtes reposant sur des piliers engagés par l’intermédiaire d’impostes. Dans quelques cas, des arcs doubleaux séparent les travées (fig. 8).
Le dégagement d’un volume plus important, en libérant les murs des reins d’une voûte en berceau et en augmentant la hauteur de l’espace utile, devait justifier le choix de couvrements qui nécessitaient pourtant l’intervention de techniciens plus qualifiés et d’un coût global majoré. Les voûtements d’ogives encore plus techniques à mettre en œuvre et plus coûteux, par l’utilisation de la pierre de taille pour les nervures et les supports, sont néanmoins très présents dans les caves.
Le soin apporté à la mise en œuvre de ces constructions et le coût des matériaux ont souvent amené à supposer que les espaces qui recevaient des voûtements d’ogives ne pouvaient être de simples caves. Les caves voûtées d’ogives furent donc, et sont parfois encore, identifiées comme d’anciens rez-de-chaussée, enterrés par suite de rehaussement de niveau de sol.
Bayonne fournit un riche corpus de caves, en grande majorité à vaisseaux uniques, couvertes de voûtes en berceau mais aussi de voûtes d’arêtes ou d’ogives. La maison Saubist, située à côté du cloître de la cathédrale, possède une cave voûtée d’ogives mentionnée en 1377 comme souterrain dans un acte de gage de rente (fig. 9). Élie Lambert datait ces caves par rapprochement avec la campagne XIVe siècle de la cathédrale. La ville connaît alors un mouvement de reconstruction lié à la reprise du chantier de la cathédrale et à plusieurs incendies. Certaines seraient plus tardives et à situer au XVe siècle (40). À une moindre échelle, la ville de Pons offre également un ensemble de caves voûtées d’ogives tout à fait remarquables. Le profil des nervures, leur pénétration directe dans les supports et les bases polygonales invitent à situer leur construction à la fin du Moyen Âge (fig. 10). Dans les pays de brique, la voûte d’ogive semble moins présente, bien que Toulouse en compte tout de même plusieurs (41).
La voûte d’ogive ne se rencontre pas seulement dans des séries de caves remarquables de villes marchandes. La formule se rencontre parfois dans des exemples uniques (du moins en attendant de nouvelles découvertes) au sein de villes où les caves sont par ailleurs voûtées de berceaux, à Rodez place de l’Olmet, à Lauzerte (Tarn-et-Garonne) dans les caves de la sénéchaussée (42), ou dans l’hôtel de Pegayrolles à Millau (43) où elles incitent à voir des édifices exceptionnels.
Les caves planchéiées
Le plancher est le mode de couvrement qui dégage le plus d’espace dans la cave et il est également plus facile à mettre en œuvre que les voûtes; pourtant les caves planchéiées sont moins nombreuses que les caves voûtées dans le sud de la France. La conservation plus difficile des structures en bois l’explique en partie. Ainsi à Douai, Jean-Denis Clabaut recense-t-il 17 caves dans lesquelles des corbeaux destinés à soutenir des planchers sont conservés, mais la totalité de ces caves a été pourvue par la suite de berceaux en brique. Les cas où les corbeaux ont été masqués par la maçonnerie des voûtes doivent de plus exister. Les planchers pouvaient également être ancrés directement dans les murs, reposer sur des décrochements de la maçonnerie ou encore sur les supports qui reçurent dans un second temps des voûtes. Dans les caves étroites, les solives du plancher reposent sur chacun des murs latéraux: rue Nationale à Lectoure (fig. 11), et dans la majorité des caves de Cordes (qui sont en réalité davantage des étages de soubassement) (44). Pour les caves aux dimensions importantes, des refends ou supports intermédiaires sont nécessaires pour supporter les planchers. Les supports ou arcatures de refend appartiennent alors souvent aux structures porteuses de la maison (45). Ainsi, la colonne du niveau de soubassement de la maison dite « de la Louve » à Rocamadour porte également les supports des étages (46). De la même façon, dans les caves d’au moins deux maisons de Puylaroque, les supports libres portaient les poutres recevant les solives: rue Basse où la poutre qui soutient le plancher est portée par une colonne de pierre avec chapiteau tronconique, et rue de l’Église, un pilier polygonal, aujourd’hui noyé dans un refend postérieur, assurait le même rôle (47). À Graulhet (Tarn), dans la cave de «l’Hostellerie du Lion d’or », ce sont des poteaux de bois pourvus d’aisseliers (fig. 12). Des murs diaphragmes percés d’arcs portent les planchers de la cave de la vaste maison des 16-18 rue Juiverie à Draguignan (les voûtes ont été ajoutées dans une campagne postérieure) (48). À Airvault (Deux-Sèvres), 18 rue de Bretagne, deux grands arcs brisés portés par un pilier avec chapiteau divisent l’espace et portent le plancher. Rue Donzelle à Cahors, au n° 46, le mur de refend de la maison divise la cave en deux: il est ouvert à ce niveau d’un grand arc brisé (ici aussi la cave, planchéiée à l’origine, a été couverte d’un berceau en brique dans un second temps).
L’examen des caves peut en ce sens être instructif quant aux élévations éventuellement modifiées: des arcs diaphragmes, des supports isolés peuvent constituer des indices quant aux élévations originelles de la maison.
Des espaces polymorphes
Nous avons jusque-là examiné les caves comme des cellules autonomes individuelles. Les caves associent cependant fréquemment plusieurs niveaux ou différents espaces sur le même niveau offrant parfois une riche variété de formes. Les niveaux de caves superposés n’adoptent ainsi que très rarement des architectures similaires, ce qui est le plus souvent interprété comme étant le fait d’un décalage chronologique entre le creusement et la construction des différents espaces. À Riom, le premier niveau de cave adopte fréquemment la voûte d’arête, tandis que les niveaux les plus bas, qui seraient postérieurs, sont couverts de voûtes en anse de panier. À Clermont et Montferrand, quand elles comportent plusieurs étages, seul le premier est architecturé, avec voûtes et parements, tandis que les niveaux inférieurs sont des cavités creusées dans le roc. Les combinaisons de salles aux architectures différentes articulées sur un même niveau se rencontrent également abondamment à Poitiers, Limoges, Périgueux, et davantage encore peut-être dans des petites villes comme Charroux, Airvault ou Pons. La succession d’espaces architecturés puis d’espaces seulement creusés est très répandue. Seules des études d’archéologie du bâti et des sols établissant les chronologies relatives de construction et d’occupation de ces espaces permettraient de savoir si la juxtaposition d’architectures différentes est due à des campagnes de construction successives et donc à des extensions postérieures, verticales ou horizontales, d’un premier noyau, ou à des aménagements différents selon la fonction de la pièce, sa position par rapport à la maison ou la qualité du substrat.
Les caves offrent de plus une variété infinie de formes de voûtes peu orthodoxes. Les problèmes de stabilité des maçonneries posés en élévation ne s’imposent pas aux substructions et la qualité du substrat nécessite parfois des renforts ponctuels de maçonnerie. Les croisements hasardeux d’ogives grossières comme à Airvault, Charroux ou Périgueux ne risquent pas de faire déverser les murs. Les sections de berceaux ont parfois davantage pour fonction de couvrir la roche que de la soutenir. À Airvault, 17 rue du Dépôt-à-Sel, de larges arcs brisés partant du sol viennent se croiser sous la roche pour renforcer l’excavation, sans plus de paroi maçonnée (fig. 13).
Les accès
Avant d’aborder les nombreuses questions relatives aux usages des caves, il convient d’en examiner un aspect déterminant qui se doit de répondre aux problèmes posés par la localisation de la cave, sa forme, ainsi que son usage: l’accès.
Bien que située sous la maison, la cave n’est le plus souvent pas subordonnée à celle-ci. La relation directe avec la rue est en effet privilégiée dans le plus grand nombre de caves du XIIe au XIVe siècle. Vérifié dans le nord, à Lille,
Douai, Provins, Rouen…, le fait peut être constaté aussi dans le sud de la France à Bayonne, Périgueux, Riom, au Puy-en-Velay, Montmorillon… Plusieurs formules sont déclinées dans les structures de ces accès sur rue. Les portes à l’aplomb de la façade, en rez-de-chaussée et de plain-pied avec la rue, ouvrent sur des escaliers dont le massif de maçonnerie est établi dans le volume de la cave. Malgré la perte de place occasionnée, ce parti est fréquent. À Bayonne, les escaliers sont implantés au centre du mur d’extrémité de la cave, et au Puy-en-Velay, rue Saint-Gilles, ils sont rejetés sur un long côté. Diverses solutions permettent de dégager l’espace sous l’escalier: soit le mur d’échiffre abrite une niche, plus ou moins spacieuse, soit il est totalement dégagé et l’escalier est porté par une voûte en arc rampant comme au Puy.
L’implantation de l’escalier depuis la rue prenant place partiellement ou complètement à l’extérieur de la cave dégage davantage d’espace utile. La formule semble très répandue, mais les dispositifs d’accès empiétant sur la voie sont difficiles à reconstituer. Ils firent en effet partout l’objet de réglementations visant à les supprimer. À Riom les textes se succèdent: au XVIe siècle, « les entrées de caves respondant sur les rues seront closes et basties pour obvier à plusieurs inconveniens qui pourroit advenir »; au XVIIe siècle, « faire fermer les avenues et ouvertures de leurs caves qui sont dans les rues »; et encore à plusieurs reprises aux XVIIIe et XIXe siècles où il est demandé de couvrir d’une trappe la partie sur la rue ou de la boucher (49).
Plusieurs types d’accès empiétant sur la rue existent. Le plus fréquent semble être celui où l’escalier est amorcé depuis la rue par quelques marches. Une porte très basse en rez-de-chaussée témoigne parfois de ce dispositif après sa disparition, les quelques marches sur la rue et les piédroits de la porte ayant été par la suite comblés. À Riom parfois, comme à Saint-Léonard-de-Noblat, l’escalier est ainsi en partie en saillie sur l’extérieur de la rue et en partie sur le volume de la cave.Au XIIIe siècle, à Montmorillon et Angles-sur-l’Anglin dans la Vienne, et au Chalard (Haute- Vienne) les portes sur rue semi-enterrées sont couvertes d’une succession de plusieurs arcs brisés (fig. 14). Des trémies dans les voûtes signalent parfois du côté de la rue les emplacements des escaliers disparus. L’existence d’escaliers implantés en totalité à l’extérieur de la cave, parallèlement à la façade de la maison, a été mise en évidence par Bénédicte Renaud à Riom. L’escalier prenait place dans un dégagement d’environ 1 mètre de large, comme en comportent aujourd’hui abondamment les rues de Londres. Les portes situées de plain-pied avec les salles de cinq caves riomoises, au traitement soigné côté rue et pourvues de feuillures et de dispositifs de fermeture, pouvaient être ainsi desservies. L’hypothèse de rez-de-chaussée entièrement enterrés a posteriori semble devoir être écartée (50).
L’escalier de descente vers la cave peut alors être abrité par l’escalier d’accès au logis surélevé en galerie sur la façade, selon un parti très répandu dans les campagnes jusqu’au XIXe siècle. Dans le cas d’escaliers entièrement extérieurs à la cave et perpendiculaires à la façade de la maison, la question de la protection de l’escalier contre les intempéries et de sa fermeture pour des raisons de sécurité se pose de façon plus cruciale encore. À Charroux, l’accès à la cave dite « de la monnaie » prenait place sur la rue, perpendiculairement au pignon de la maison. La pente très accentuée diminue la longueur de l’escalier. Lorsqu’il traverse la largeur du mur de façade, il est couvert d’un court berceau rampant, mais en avant de la façade on ignore de quelle façon il était protégé: un avant-toit de la maison débordant, une galerie sur le premier étage, un auvent en appentis ou seulement une trappe de fermeture au niveau du sol ?
Dans les cours, les difficultés posées par ces types d’accès étaient moindres car le problème de sécurité des usagers de la voie publique ne se posait pas. Il est plus aisé également de construire un petit appentis ou une annexe abritant l’accès à la cave. Dans l’hôtel de la rue de Lastié à Cahors, l’escalier de la cave débordant dans la cour est protégé dans un petit bâtiment annexe en pan-de-bois où se trouvaient probablement les latrines; au n° 75 rue Maréchal-Joffre et au n° 82 rue du Bousquet, l’escalier de descente à la cave est disposé sous les volées du grand degré desservant l’aula de l’étage (51).
Enfin, des exemples plus rares d’escaliers ménagés dans des cages maçonnées extérieures à la cave sont à signaler. Un exemple à Pons, qui mériterait une étude approfondie, peut être rapidement présenté. La cave est ouverte par une vaste porte de plain-pied en arc brisé à doubles ressauts dont la mise en œuvre est très soignée. Elle est desservie depuis la rue par un escalier extérieur au volume de la cave, construit contre son mur pignon et parallèle au plan de la porte (l’élévation de la maison a disparu, on ne peut donc rien dire de sa façade) (fig. 15 et 16). L’escalier est couvert en partie d’un étroit berceau plein-cintre aux reins soulignés d’un cordon en quart de rond et bandeau et en partie de dalles. Il est étroit et son exiguïté, ainsi que l’angle droit qu’il forme avec la large porte, pose problème.
À Riom les portes de plain-pied avec la cave sont des portes étroites, qui peuvent s’accommoder d’une desserte de même, l’éventuel accès pour les marchandises devant alors être nécessairement cherché sur l’arrière de la parcelle. À Pons, en revanche,la différence de largeur entre escalier et porte incite à chercher un décalage chronologique entre les deux, indiquant peut-être une modification du niveau de la rue ou un changement de destination de la cave. Les escaliers établissant une communication interne entre rez-de-chaussée et cave sont rarement conservés et souvent tardifs. À Toulouse, au 10 de la rue Temponières, l’escalier est couvert d’une succession d’arcs brisés en brique (fig. 17). À Puylaroque, rue de l’Église, l’étroit escalier de la cave d’une maison du XIVe siècle est ménagé dans l’épaisseur du mur et couvert de dalles délardées (52). Comme pour les niveaux supérieurs de la maison, l’escalier en vis n’est qu’exceptionnellement employé pour desservir des niveaux de cave avant la fin du Moyen Âge. Des escaliers en vis du XIIIe siècle, faisant saillie sur l’extérieur, desservent à Rouen les celliers de deux constructions. Il s’agirait cependant, déjà à cette époque, de modifications de la distribution d’origine par un escalier droit extérieur (53). À Rocamadour, le niveau bas d’une maison, que Jean Rocacher date du milieu du XIIIe siècle, est desservi par un escalier en vis, qui prend place dans un mur d’une épaisseur de 2,40 mètres (54). Cependant, ces exemples restent très exceptionnels.
L’escalier en vis se généralise dans les maisons à partir du XVe siècle. Pons possède ainsi plusieurs exemples de maisons du XVe siècle dont tous les niveaux, de la cave au grenier, sont desservis par le même escalier en vis continu, en tourelle hors- œuvre ou dans-œuvre en revers de façade. L’insertion a posteriori d’escaliers en vis dans les maisons se lit particulièrement bien dans les caves où leur construction a nécessité le percement de la voûte, comme au Puy-en-Velay ou à Forcalquier. Il fournit donc un terminus ante quem à la construction de la cave.
Pour compléter l’examen des communications entre les caves et les rez-de-chaussée des maisons, il faut s’intéresser aux trappes, aux ouvertures et trémies pratiquées dans la voûte qui peuvent servir de passage à une échelle et sont parfois le seul accès. Elles sont peu nombreuses dans les voûtes, où elles étaient moins faciles à ménager que dans les plafonds en bois d’une cave planchéiée. À Rocamadour, Jean Rocacher relève ainsi un exemple de cave voûtée avec ouverture sommitale, sans trace de porte (55).
Au Puy, rue Saint-Gilles, les caves voûtées de berceau étaient percées de petites ouvertures carrées ou circulaires pour le passage des marchandises. Un exemple, le n° 5 rue Saint-Gilles, présente un oculus d’une exceptionnelle largeur, environ 2 mètres de diamètre, contemporain de l’escalier droit sur voûte qui dessert la cave comme le montre la mise en œuvre similaire de l’oculus et de la trémie de l’escalier, appareillés avec des blocs en besace triangulaire (56). Les communications avec les niveaux -2 et -3 sont rarement directes depuis le niveau du sol. Cependant les caves de Poitiers (îlot Sainte-Radegonde, rue Jean-Bouchet, rue de l’Ancienne-Comédie…) montrent fréquemment des dispositifs d’accès à ces espaces les plus bas, sous forme de puits, qui ont pu servir à l’extraction des matériaux lors du creusement, puis au passage de denrées.
Les ouvertures d’éclairage et de ventilation
Enterrées, les caves sont des espaces sombres et frais. Selon l’usage qui en est fait, ces caractéristiques peuvent être des atouts ou des inconvénients. Les caves destinées à remplir des fonctions multiples sont pourvues de nombreuses ouvertures: portes, soupiraux ou jours, puits ou simples trous dans les voûtes. Elles sont cependant souvent limitées aux deux extrémités de la salle dans les parcellaires denses des centres urbains.
Les vantaux des portes des caves accessibles depuis la rue peuvent être ouverts dans la journée, ce qui assure un large éclairage diurne et une ventilation importante. Comme pour les rez-de-chaussée, certaines caves sont de plus pourvues d’ouvertures supplémentaires en façade assurant ventilation et éclairage lorsque les vantaux des portes sont fermés. À Montmorillon, Angles-sur-l’Anglin, au Chalard et à Donzenac, c’est un jour quadrangulaire sur la façade des maisons (fig. 14).À Provins, l’éclairement des caves est équivalent à celui des rez-de-chaussée voûtés grâce à des jours largement ébrasés vers l’intérieur, qui pouvaient être clos par des panneaux de bois, ce qu’attestent les gonds et feuillures encore visibles, ou protégés par des grilles (57). Mais le plus souvent, la taille réduite des ouvertures n’est que très partiellement compensée par les dispositions intérieures des baies. Lorsque les ouvertures sont situées sur le long côté de la cave, rue Roger-Ténèze à Donzenac par exemple, des lunettes sont pratiquées dans le berceau pour permettre la pénétration de la lumière (fig. 18). À Pons, de très hauts glacis occupent la quasi-totalité de l’intérieur de la baie, simple soupirail à l’extérieur, étirant au maximum la surface destinée à diffuser la lumière (fig. 19). À Riom, les caves, lorsqu’elles étaient à l’origine des niveaux de soubassement semi-enterrés, sont pourvues de baies très ébrasées pour faciliter la pénétration de la lumière (58). À Rocamadour, où des niveaux de soubassement rattrapent le dénivelé entre la rue et la pente du val de l’Alzou, les façades de ces caves sur le vallon sont percées de jours étroits chanfreinés sous linteaux échancrés très ébrasés à l’intérieur et avec un glacis à ressauts (59).
L’éclairement des caves reste tout de même souvent parcimonieux. Celui des caves semi-enterrées ou niveaux de soubassement est évidemment moins problématique, de plus larges ouvertures pouvant alors être pratiquées sur les fronts de rue ou sur cour.
Équipements
Les aménagements les plus répandus sont les niches et placards qui adoptent des formes similaires à celles que l’on rencontre partout ailleurs dans la maison (60). Les équipements des caves, très polyvalents voire stéréotypés, ne sont pas présents de façon systématique. À Provins par exemple, seules 15 % des caves sont pourvues de placards.
Quadrangulaires ou couvertes en bâtière, plus rarement en plein cintre comme à l’hôtel Maurand à Toulouse (61), les niches situées à hauteur d’homme (souvent autour de 1,20 m de hauteur lorsque le niveau du sol peut-être situé) sont désignées le plus souvent comme étant des niches à luminaires. Leur présence dans les caves s’explique évidemment par la nécessité d’un éclairage artificiel dans des espaces sombres. Il est à cet égard intéressant de noter qu’une cave comme celle de l’hôtel de la rue de Lastié à Cahors qui comporte de nombreuses niches à luminaire ne disposait que de peu d’ouvertures d’éclairage.
Les placards sont le plus fréquemment pourvus de feuillures pour les vantaux des fermetures, de rainures horizontales pour les rayons en bois d’étagères et de dégagements latéraux pour les plus importants.
Les grandes niches de plain-pied avec les caves, formant une petite extension ou réduit, sont fréquentes. Elles permettent parfois d’étendre le volume de stockage sous l’espace public, sans constituer des empiétements trop conséquents: à Toulouse dans la maison de la rue Croix-Baragnon (62), à Bayonne où de grandes niches s’enfoncent sous le sol de la rue de chaque côté des escaliers. Destinés à abriter des denrées plus précieuses que celles entreposées dans la cave elle-même, ces espaces pouvaient être fermés comme à Charroux (fig. 20) ou Riom. Ils sont le plus souvent couverts de petits berceaux perpendiculaires à celui de la cave ou dans le prolongement d’un formeret dans le cas de voûtes d’ogives.
La présence de cheminées est exceptionnelle. Dans quatre caves de Riom, les cheminées médiévales sont vraisemblablement des remplois de l’époque moderne (cf. infra) (63).
Située sous la maison, la cave remplit aussi des fonctions qui procèdent des logiques de servitudes verticales de la maison, comme celle d’abriter des fosses à latrines (Pons, Poitiers, Cahors). Les caves sont également fréquemment un point d’accès à l’eau, elles comportent alors des puits ou des citernes, à Montpellier, Périgueux, Cordes (64), Rocamadour, Pons, Saint-Léonard-de-Noblat… Leur accès est fréquemment double: depuis la cave et depuis le rez-de- chaussée, voire sur plusieurs niveaux de la cave ou de la maison. À Charroux un des puits est ainsi pourvu d’une margelle dans la cour et également accessible depuis les deux niveaux de sous-sol, qui s’étendent jusque-là. Les maisons de Rocamadour, implantées à flanc de coteau, sont pourvues de citernes maçonnées, petits espaces de plan quadrangulaire presque carré, voûtés en berceau adossés au rocher en fond de parcelle dans le niveau de soubassement (65). À Forcalquier, des gargouilles monolithes acheminent l’eau jusqu’à des citernes qui semblent postérieures aux maçonneries médiévales, ce qui a amené à proposer l’hypothèse d’un fonctionnement avec des récipients recueillant l’eau (66).
Enfin, les silos creusés dans le sol, sont fréquents dans les caves. Le sujet sera développé dans un autre article de ce volume, consacré au stockage (67).
Des aménagements plus discrets sont parfois observables. Les crochets ou anneaux fixés dans les voûtes peuvent servir à suspendre des denrées et à déplacer ou à soulever des produits lourds.
Fonctions et usages des caves
Maurice Scellès souligne qu’à Cahors les boutiques ou ouvroirs ne présentent pas d’équipements spécialisés (68), les artisans de différents corps de métier pouvant s’y succéder. Il apparaît qu’il en est de même pour les caves qui sont des espaces polyvalents, dans la limite toutefois des contraintes créées par leur situation enterrée. Les caves présentent donc, comme nous l’avons vu, rarement des aménagements permettant d’en définir les usages, qu’ils soient d’origine ou non. De plus, il est rare de pouvoir sur ce point conjuguer les apports des sources écrites à ceux des architectures conservées et identifiées.
Utilisation des caves à des fins commerciales ou artisanales
Les notions de propriétés multiples et de location divisant des édifices en entités aux usages et usagers différents commencent à être abordées pour les maisons du Moyen Âge. Malgré sa situation, inféodée à la maison, la cave pouvait être ainsi louée ou utilisée indépendamment. Un accès indépendant est alors indispensable. Il peut être direct depuis la rue ou simplement indépendant de la distribution du logis ce qui pose alors la question du fonctionnement bipolaire de la maison avec des espaces d’habitation et de servitudes liés au logis et d’autres, indépendants, de production et de commerce. Inversement, certaines formes semblent exclure des utilisations autres que domestiques: l’escalier en vis se prête mal au maniement de charges lourdes ou encombrantes. Pour les caves dont il constitue le seul accès, on peut exclure d’autre utilisation que celle de resserre domestique.
Le vin est l’objet d’un négoce important au Moyen Âge qui nécessite dans les villes marchandes de vastes magasins. Il ne s’agit que de l’entreposer, car le vieillissement du vin en cave n’est pas pratiqué à l’époque médiévale. Dans les sources relatives à la ville de Lille, les caves ne sont mentionnées que pour le commerce ou le stockage du vin. Un document de 1269 détaille ainsi l’arrivage d’une cargaison de vin au port avec la liste des celliers dans la ville et le nombre des tonneaux qui doivent y être livrés (69). Puis, tout au long du XIVe siècle, les comptes de la ville font état de locations de cave pour cet usage. À Douai, en 1310, le compte d’entrée de vins achetés par la ville mentionne 11 celliers et boves. Le nombre de tonneaux et cuves est mentionné par cave, la moyenne étant de 90 tonneaux ce qui suppose des espaces relativement vastes (70). Le vin n’est pas entreposé seulement dans les grandes caves couvertes de voûtes d’arêtes ou d’ogives, mais également dans les plus petites voûtées en berceau par exemple.
Les tonneaux étaient descendus par les larges escaliers donnant sur la rue; ils étaient retenus par des cordes attachées à des anneaux fixés dans les voûtes ou sur les premières marches du trottoir et glissaient sur des planches ou des toboggans en bois. Des exemples modernes ou contemporains sont encore en place sur certains escaliers de caves de Charroux (fig. 21).
Si le stockage du vin à des fins commerciales est le mieux documenté et mis en perspective avec les élévations conservées, d’autres marchandises échangées en grands volumes, comme les draps, devaient également être entreposées dans les caves. De plus, certaines villes marchandes de première importance, et particulièrement pour le vin, comme Bordeaux ou Montpellier sont, rappelons-le, dépourvues de ces vastes caves.
Le soin apporté à la mise en œuvre de la cons- truction des caves voûtées et leur accès direct depuis la voie, parfois ostentatoire, amène à envisager leur utilisation comme lieu de négoce et de commerce accessible par tous. Quelques exemples étudiés dans le Nord sont à ce titre exemplaires. En 1222 à Provins, des marchands toulousains louent aux chanoines de Saint- Quiriace une « grande voûte » et une maison pour la foire de mai (71). À Provins, les vastes salles basses des « maisons de foire » étaient en effet dévolues à des activités commerciales. Élie Lambert signale un texte du Livre noir d’Amiens qui impose aux « hostelains, taverniers, cabaretiers et autres vendans vin à détail… souffrir en leurs caves les personnes achetans vins qui y veuillent entrer, pour le voir tirer et mesurer » (72).
Dominique Pitte cite D. Keene, qui dans son étude sur la ville de Winchester au Moyen Âge, note la forte concentration de celliers dans le centre commerçant de la ville et conclut qu’en plus du stockage des denrées, ils servaient à leur vente, notamment à celle du vin. Les caves de Douai servaient également de brasserie, qu’il faut entendre ici davantage comme lieu de conservation voire de consommation de la bière plutôt que de sa fabrication, même si celle-ci, bien que non documentée, peut s’imaginer dans les caves qui disposent d’un puits et de l’espace suffisant pour installer les cuves nécessaires à la fermentation (73). Dans le sud de la France, les caves de Bayonne ou Riom, qui comportent des caractéristiques tout à fait comparables à ces grands corpus septentrionaux, pouvaient, elles aussi, servir d’échoppes.
Comme vu précédemment, les structures construites destinées à un usage déterminé sont rares dans les caves. Il en existe cependant quelques exemples, liés à la production de vin. À Airvault, bourg monastique des Deux-Sèvres, plusieurs caves de la fin du Moyen Âge sont pourvues de pressoirs. L’une d’entre elles, bien conservée, possède un programme particulièrement intéressant (74). Il s’agit d’une maison à pignon sur rue, appuyée à flanc de coteau, divisée sur toute sa hauteur par un mur de refend transversal (fig. 22 et 23). Le rez-de-chaussée abritait une boutique côté rue et, derrière le mur de refend, s’appuient contre le rocher les espaces de servitude et de production de la maison, distribués indépendamment depuis une cour. L’habitat se développe aux étages dans des pièces éclairées par des fenêtres à coussièges et aux sols de carreaux de terre cuite; la salle arrière du premier étage est pourvue d’une cheminée à blason frappé de fleurs de lys. La cave est desservie par un escalier droit depuis la pièce arrière du rez- de-chaussée. Le substrat calcaire étant de piètre qualité à Airvault, les murs de la cave sont maçonnés, ainsi que la partie basse du mur de refend de la maison qui constitue le mur de fond de la cave. Elle n’occupe ainsi que la moitié sur rue de la maison. Elle est voûtée d’un berceau dépourvu d’ouvertures. Un pressoir maçonné prend place contre le mur pignon sur la rue, sous un soupirail prévu pour déverser le raisin. Le logement ménagé pour le levier dans la paroi, ainsi que les pierres dans lesquelles venaient se loger le dispositif du treuil, le bassin et la goulotte d’écoulement sont encore parfaitement conservés. Un puits, un grand placard en plein cintre et des pierres de taille calées pour recevoir les barriques complètent l’équipement de la cave (fig. 23). Le puits est par ailleurs accessible depuis le passage qui longe la maison à l’extérieur pour mener à la cour et ainsi à l’espace de stockage. Une résidence noble s’appuie donc ici sur des espaces de production de vin et cohabite avec. La configuration se retrouve à Donzenac où la production de vin était importante à la fin du Moyen Âge. Les sources attestent que certains hôtels patriciens possèdent également un pressoir, nommé treuil, torcular ou trolhium, dans la cave (75). Françoise Feracci- Reynier relève également dans un inventaire de biens dressé en 1434 à Arles (76), que la cave abrite deux tonneaux, un entonnoir et dans une autre cave un fouloir et une cuve à fermentation. À Grasse (Alpes-Maritimes), un autre inventaire des biens, vers 1400-1425, décrit de même une maison à deux étages avec boutique, liée à un cellier qui contient deux cuves à vin et un fouloir (77) mais dont rien n’indique cependant qu’il est en sous-sol.
La question de l’utilisation des caves comme ateliers est posée de façon récurrente, notamment pour la production de draps. L’humidité permettrait en effet de travailler les draps les plus fins sans que les fils se rompent. Camille Enlart qui défend cette hypothèse observe qu’il subsiste au début du XXe siècle dans les campagnes du Cambraisi ce type d’ateliers, dont certains remonteraient au XVIe siècle (78). Jean-Denis Clabaut reprend cette réflexion pour Douai et Lille, mais une fois signalées les qualités d’humidité, de température constante et le vaste espace représenté par les caves, aucun élément tangible ne vient corroborer l’hypothèse de lieu de production ou de stockage du drap. La découverte d’un plomb de ballots de draps à Lille, rue de la Grande-Chaussée, est un indice ténu en faveur du stockage des draps dans ces espaces (79), mais ne dit rien sur leur éventuelle fabrication sur place. À Douai, le même auteur relève au XVIe siècle les mentions de caves dont le revenu est déclaré car elles sont louées à part. Différents corps d’artisans les utilisent: potiers, rémouleurs, brasseurs, cordonniers (80). Cette source tardive invite à penser que ces espaces polyvalents peuvent servir d’ateliers à des corps de métiers différents et ce malgré l’existence d’interdictions du travail à l’éclairage artificiel, la chandelle ne suffisant pas à un travail de qualité (81).
Usages domestiques
Les fonctions domestiques, usages privatifs de la cave par les habitants de la maison, impriment moins encore leur marque dans l’architecture que les fonctions commerciales ou de négoce. Le stockage des denrées alimentaires et du vin ou verjus destinés à la consommation de la maison est la fonction première de la cave à usage domestique. À Cahors, les descriptions des dégâts occasionnés par l’inondation de 1390 indiquent que le vin est massivement détruit, ce qui sous-entend sa conservation dans les parties basses des maisons (82). Il s’agit ici de réserves pour la consommation domestique, Cahors ne devenant une ville de foire qu’à partir du XIVe siècle. Les inventaires des XIVe et début XVe siècles étudiés par Françoise Piponnier pour Dijon mentionnent des tonneaux entamés et des denrées alimentaires telles du lard salé, vraisemblablement dans son saloir (83). Nous avons vu également qu’elles pouvaient abriter des puits ou citernes et donc les réserves d’eau potable (la question du stockage des denrées est plus large- ment abordée dans le cadre d’un autre article de ce recueil).
Les caves peuvent enfin remplir des fonctions complémentaires de l’habitat, qui dans l’architecture rurale prendrait la forme de dépendances du logis. Cela semble particulièrement vrai dans les rues secondaires des villes de petite ou moyenne importance et serait vérifiable pour les niveaux de soubassement de nombreuses bastides périgourdines (84).À Cordes,la hauteur importante des maisons ou hôtels, établis sur des ruptures de pente, a permis l’aménagement de niveaux de soubassement plus que de caves souterraines. Ces espaces en communication directe avec les rues secondaires de l’agglomération, qui recèlent des silos de stockage et des citernes, pouvaient abriter aussi les animaux (85). Les sources attestent que les subterraneum de Donzenac servaient eux aussi parfois d’étable, stabulum, ou d’écurie.
Les cuves à lessive sont mentionnées à plusieurs reprises à la fin du Moyen Âge à Dijon et il y en a à Airvault aussi, où cependant elles ne sont pas datées.
Enfin, la possibilité de l’utilisation ponctuelle des caves comme logements est parfois évoquée. Dominique Pitte mentionne ainsi le don, par Guillaume le Conquérant, d’un cellier dans lequel un homme réside à Saint-Étienne de Caen (86). L’utilisation attestée d’une cave comme habitation aussi précocement reste cependant une exception. Elle se généralise en revanche à partir du XVIe siècle, ce qui amène Bénédicte Renaud à considérer que les cheminées médiévales présentes dans des caves de Riom s’y trouvent vraisemblablement en remploi (87).
Rares sont donc les caves avec un programme architectural répondant à une destination précise et exclusive, et leurs changements d’usage sont nombreux au fil du temps. L’abandon progressif de leur utilisation économique et notamment commerciale à partir du XVe siècle en est sans doute l’évolution la plus importante. Le glissement des fonctions commerciales vers des usages plus domestiques se traduit essentiellement par l’abandon des accès directs depuis la rue en faveur des communications avec le rez-de-chaussée, le plus souvent sous la forme d’escaliers en vis.
Est-ce sous l’effet des réglementations successives à partir du XIVe siècle qui tendent à faire obturer ces entrées ? Est- ce dû à des changements fondamentaux dans les programmes des maisons ? La question mériterait d’être approfondie. Le succès de l’escalier en vis ne saurait l’expliquer à lui seul: des modifications d’autre nature amènent à croire que le changement de fonction est prééminent sur l’opportunité offerte par ce nouveau mode de distribution.
La division en deux niveaux de caves très hautes, rue du Docteur-Laubie à Donzenac ou dans la cave dite «de la monnaie » à Charroux, nous semble aller dans ce sens. À Charroux, place de la Cahue, les remaniements de la cave médiévale au XVIe siècle ont transformé l’accès direct d’origine par un escalier à deux rampes droites en équerre servant à descendre les barriques depuis le rez-de-chaussée (88). De plus, les maisons du XVe siècle pourvues de caves que nous connaissons n’offrent pas d’accès depuis la rue. À Airvault où l’usage de la cave est cependant économique, un escalier à rampe droite la dessert depuis le rez-de-chaussée; à Pons dans les maisons à programme résidentiel, les caves, de dimensions réduites, sont desservies par l’escalier en vis.
Les caves dans la ville
Des témoins tangibles de la ville médiévale
Les difficultés rencontrées lorsque l’on veut appuyer sur l’étude des seules caves des tentatives de reconstitution du réseau viaire ou du parcellaire d’une ville médiévale dont elles constituent les témoins tangibles les mieux conservés, apparaissent bien à travers les quelques exemples évoqués ci-dessus: le plan des caves peut différer de celui des maisons et l’étude et la datation de ces espaces sont difficiles. Or le postulat de départ pour étudier une ville médiévale d’après les caves conservées est celui de leur antériorité ou contemporanéité avec les édifices qui les surmontent. Postulat qui ne se vérifie pas toujours: à Riom, les plus profondes sont les plus récentes, et à Montpellier où il n’en existe pas au Moyen Âge, il en a été creusé à l’Époque moderne. De plus, on dispose rarement d’une chronologie assurée des différents niveaux de substruction.
Les informations fournies par l’étude des caves n’en demeurent pas moins essentielles pour appréhender des tissus urbains peu conservés voire disparus au-dessus du niveau du sol: les caves sont en effet moins sujettes aux destructions que les élévations. La première indication donnée par leur présence, et qui n’est pas des moindres dans des régions où l’architecture civile médiévale passe pour avoir totalement disparu, est donc l’existence de maisons médiévales partiellement conservées. La présence massive de caves à Pons, ville située sur une route importante de pèlerinage et de commerce (vin, sel) et centre artisanal très actif (tanneries et draps) n’est pas surprenante, mais n’avait pas été soupçonnée tant le paysage monumental de la ville est moderne et contemporain. Dans la même optique,il serait intéressant de mener une enquête sur la ville de La Rochelle, très proche, pour y chercher les vestiges de la ville médiévale en sous-sol. Une cave voûtée d’ogives est par exemple conservée dans le quartier Saint-Sauveur.
À Pons, comme ailleurs, la variété des formes, le soin accordé au traitement des caves, leur étendue et leur extension remarquables témoignent de l’activité constructive d’une ville à l’économie florissante.
Leur étude systématique permet de préciser ou conforter l’étude de la topographie d’une ville, appuyée le plus souvent sur la lecture des plans anciens et des parcellaires fossiles. À Rouen, les édifices voûtés les plus anciens se distinguent notamment parce qu’ils sont situés en recul par rapport aux rues et ne sont pas insérés dans le parcellaire dense du XIIIe siècle. La régularité des plans des caves de Bayonne et leur implantation respectant les limites de la voie publique incitent à penser que de rigoureuses règles d’urbanisme sont édictées et appliquées dans cette ville aux XIIIe et XIVe siècles: elles sont alors des fossiles fiables de la ville de cette époque. Les implantations de caves témoignent également de la largeur exceptionnelle des voies à Riom et Monferrand, villes neuves au plan d’ensemble régulier où les caves, très nombreuses dans le parcellaire dense des axes principaux, et les murs mitoyens conservés permettent d’observer l’occupation du sol. Les accès depuis la rue témoignent aussi parfois de changement ou, au contraire, de la pérennisation du niveau de la voierie. À Airvault, c’est le questionnement sur la restitution des niveaux anciens du parvis de l’abbatiale qui a provoqué une étude des caves de la ville (89). Des études plus systématiques des caves permettraient peut-être de réexaminer et préciser dans certaines villes la question du surhaussement considérable des niveaux de rues. À de nombreuses reprises en effet on peut lire et surtout entendre que les niveaux de sous-sol voûtés devaient être d’anciens rez-de-chaussée, à cause de la qualité de leur mise en œuvre. Bénédicte Renaud montre bien à Riom que si un exhaussement du sol existe réellement, dans la rue Saint- Amable notamment, il a pu être situé par les archéologues à environ 1,30 m sous le niveau du sol (90), ce qui ne suffit pas à transformer d’anciens rez-de-chaussée en cave mais enterre en effet complètement d’anciens niveaux semi- enterrés, comme à Rouen. À Rodez, la place du Bourg et ses abords ont fait l’objet d’investigations archéologiques qui ont montré que les niveaux des XIIe -XIIIe siècles étaient à moins de 0,50 m du niveau du sol actuel, excluant donc que les caves qui se trouvent dans cette zone aient pu être d’anciens rez-de-chaussée, et ce malgré la présence d’une porte de plain-pied dans l’une d’entre elles (91).
Où sont les caves dans la ville ?
La répartition des caves dans la ville est régie par deux facteurs: qualité du substrat et importance des voies.
Lorsque le substrat ne permet pas de creuser des caves, les rez-de-chaussée peuvent adopter les formes et les fonctions de caves. À Provins, où les salles basses voûtées sont très nombreuses (environ 170 conservées), elles sont en rez-de-chaussée dans le Val, où la présence de l’eau rend difficile les excavations et en sous-sol au Châtel, point haut de la ville. À Douai, les caves sont dans la partie haute de la ville, la proximité de la Scarpe en partie basse se prêtant mal au creusement, à Charroux et à Pons sur les coteaux, à Périgueux, Limoges, Poitiers… en partie haute des villes. Le long des axes économiques où les fronts de rues sont très prisés, la densité du parcellaire suscite la recherche d’espaces supplémentaires. Les axes principaux sont ceux qui concentrent les activités de commerce, les espaces de stockage y sont donc particulièrement nécessaires. À Riom, les caves sont très présentes le long de l’axe nord-sud, où elles ne sont qu’en front de rue et n’occupent pas toute la profondeur de la parcelle. À Pons, les plus nombreuses caves voûtées d’ogives sont à proximité de l’emplacement de la halle médiévale, à Montmorillon elles sont sur l’axe majeur du pont. À Lille, c’est cette logique économique qui commande leur implantation puisque les caves sont présentes non pas dans le secteur où le sous-sol calcaire pouvait aisément être creusé de différents niveaux de caves, mais dans des sous-sols d’argiles et limons. De plus, les caves à colonnes et piliers sont groupées le long de l’axe majeur qui reliait le port fluvial à la place du marché au blé.
Les villes sans caves
Dans le sud, certaines villes médiévales importantes sont pauvres en caves, voire en sont dépourvues comme Saint-Antonin et Figeac où en revanche il y a des rez-de-chaussée avec des décrochements et des différences de niveaux rattrapant des dénivelés. Les rez-de-chaussée voûtés sont même rares à Saint-Antonin, où les niveaux sont planchéiés. Ils ont cependant des fonctions économiques ou de stockage et sont distincts de l’habitation qui commençait au premier étage. À Monflanquin, comme à Lectoure, le niveau de soubassement est ouvert sur la façade antérieure alors que le sous-sol est ouvert sur la façade postérieure. À Figeac, dans la maison de la rue des Lazaristes (92), ces espaces semi-enterrés et situés derrière la boutique sont voûtés en berceau (dont un est pourvu d’une communication directe avec le rez-de-chaussée à travers la voûte).
La sécurité voire le prestige offerts par un espace voûté, ainsi que peut-être la pénombre et la fraîcheur, sont certainement recherchés puisque des maisons sans caves possèdent des rez-de-chaussée ou des étages de soubassement au traitement similaire: voûtement et ouvertures parcimonieuses. Il est à cet égard vraisemblablement signifiant qu’une ville comme Montpellier, qui est quasiment dépourvue de caves à l’époque médiévale, recèle en revanche un grand nombre de rez-de-chaussée voûtés.
Conclusion
Nous avons esquissé ces quelques observations en essayant principalement, après d’autres sur des ensembles urbains plus septentrionaux, de proposer des pistes d’analyse: implantation des caves des maisons médiévales, structure et forme, accès et relations avec la demeure, ouvertures, équipements, usages et fonctions.
La situation enterrée sous la maison est le premier critère distinctif des caves, et elle conditionne une bonne part de leur architecture. Leurs aménagements: niches, placards, trappes et ouvertures peu différenciés, à l’exception des rares pressoirs, se prêtent à des usages multiples. Les vastes salles à l’architecture soignée, couvertes de voûtes d’arêtes ou d’ogives et desservies directement depuis la rue, se prêtaient particulièrement bien au stockage, mais aussi au négoce, ce que les sources attestent parfois. En France, cette configuration est assez largement répandue aux XIIIe et XIVe siècles, dans les villes au commerce et à l’artisanat dynamiques, mais elle semble être progressivement abandonnée à partir du XVe siècle. À l’exception peut-être de Bayonne, dont l’étude mériterait d’être maintenant reprise, les vastes corpus septentrionaux, liés au grand commerce international, ne trouvent pas leur pendant dans le Midi. Cependant, sans avoir l’ampleur des programmes de Provins ou même de Bayonne, la formule de la cave voûtée, à la construction soignée et avec un accès direct depuis la rue, est répandue dans le Poitou, le Limousin, ou encore l’Auvergne.
Dans nombre de villes, les caves n’ont qu’un usage domestique, et donc un accès privatif depuis le rez-de- chaussée des maisons ou depuis la cour des demeures ou hôtels. On y trouvait la provision de vin de la « maisonnée », à laquelle s’ajoutait, selon la saison et le lieu, tout ce qui pouvait se conserver en cave. Moins visibles depuis la voie publique, ces caves ne sont révélées que lors d’études complètes de villes comme Cahors par exemple.
Quels que soient leur rôle et leur place dans l’architecture et le fonctionnement de la maison, les caves sont des témoins privilégiés, parce que plus souvent conservés, de l’histoire urbaine. Les études de Lille, Douai ou Provins ont montré comment leur prise en compte pouvait éclairer la compréhension de la ville commerçante en permettant notamment de circonscrire les quartiers les plus actifs. Les enseignements tirés d’ensembles moins spectaculaires pourraient être tout aussi significatifs. Elles sont ainsi une parfaite illustration de l’urbanisme concerté de Riom ou de Bayonne. À Cahors ou Montauban, où elles offrent les espaces de stockage des productions agricoles destinées à la consommation de la domus, elles permettraient d’approcher les mécanismes micro-économiques des rapports entre la ville et sa campagne.