L’examen du bâti des maisons médiévales qui ne se contente plus de l’observation des façades, des baies et, au mieux, de la distribution, nous met face à des réalités qui correspondent à des usages liés à la vie de ceux qui ont occupé ces demeures. L’usage exact des dispositifs observés par l’archéologue n’est cependant pas toujours aisé à déterminer. L’appel au texte peut être déterminant mais se heurte à des difficultés multiples. D’abord l’absence, le plus souvent, de textes antérieurs au XIVe siècle alors que les édifices étudiés sont nombreux pour les XIIe et XIIIe siècles. D’autre part les réalités observées n’ont pas toujours leur correspondance dans les textes : on peut dire que, très souvent, les textes parlent de choses que l’on ne voit plus alors que ce que l’on voit, les textes n’en disent à peu près rien. C’est le cas des trappes qui mettent de façon très récurrente en communication la cave avec la pièce qui lui est superposée ou encore les niches ou armoires réservées dans les murs. C’est à ce dernier élément que nous allons nous intéresser ici et, par extension, aux rangements dans la maison médiévale.
L’armarium mural est un dispositif bien connu mais pas étudié pour les églises (destiné au rangement des objets liturgiques, aménagé dans les murs du sanctuaire ou du presbyterium), mieux étudié pour les monastères (destiné au rangement des livres, intégré à un mur du cloître) (1). Il l’est moins lorsqu’il se rapporte à l’aménagement de la maison alors qu’il s’agit d’un élément architectural récurrent. Les publications récentes en font maintenant souvent état (2) mais de façon généralement rapide. A.-L. Napoléone lui avait consacré quelques paragraphes dans la publication des Journées d’étude de 2001 (3).
Sous des formes diverses, les niches ou armoires murales sont un élément architectural particulièrement fréquent dans les maisons médiévales ou post-médiévales. Puisque l’on y rangeait des objets, les inventaires après décès devraient les citer abondamment. Or l’on peine à trouver quelques mentions de l’armarium et, lorsque le mot apparaît enfin au cœur d’un texte, il n’est pas toujours facile d’apprécier à quelle réalité il s’appliquait. Certes, dans les inventaires après décès qui sont notre source de renseignements principale, l’armarium mural étant un dispositif architectural, il ne fait pas partie du mobilier et n’a donc pas à être cité pour lui-même; on pourrait penser cependant qu’en inventoriant le contenu, le notaire aurait pu citer au passage le contenant avec une formule du type in armario… C’est rarement le cas. En revanche, les prix-faits de construction étudiés pour Aix- en-Provence par Ph. Bernardi citent l’armarium une vingtaine de fois (4).
Nous ferons reposer cette étude d’une part sur les armoires murales que nous avons pu étudier ou repérer dans la partie moyenne du Sillon rhodanien où nous avons entrepris, depuis plusieurs années, de suivre systématiquement les rénovations d’habitations afin de dresser un constat d’un état ancien menacé de disparition ou de profonde transformation. L’idéal aurait été d’aborder, d’autre part, un corpus de textes pour la même région. Nous ne disposons que de rares inventaires après décès étudiés pour Viviers (5). Plus au sud, M. et A.-M. Hayez ont publié quelques inventaires pour Avignon (6), F. Feracci pour Arles (7). Force est donc d’étendre notre enquête sur d’autres régions du Sud-Est pour lesquelles nous disposons d’un corpus de textes conséquent mais en l’absence de corpus monumental. Il s’agit avant tout des Alpes-Maritimes avec l’étude de M.-C. Grasse qui nous offre un ensemble de plusieurs dizaines de textes du XIVe au début du XVIe siècle (8).
Table of Contents
Rangements mobiliers
Les inventaires après décès énumèrent, comme meubles de rangement, les caisses, les coffres, les archibancs, les dressoirs et les armoires de bois.
Le meuble de rangement le plus souvent cité est la caisse (cacia, cassia, capsa, capsia, capcia, capsea, capcea, caxa, caxia, caysa, cayssia) (9). Sur 362 meubles de rangement recensés, notre corpus en comprend 263, soit 72,65 %. La plupart sont en bois. Six fois, le notaire a écrit simplement fuste, sans préciser de quelle essence il s’agit. Quand celle-ci est mentionnée, il s’agit majoritairement (36 fois, soit 62 % des essences connues) de pin ou de sapin ; dans 19 cas (32,7 %) on a utilisé le noyer, deux fois (3,4 %) de l’orme, une fois du peuplier (1,7 %) ; hors de notre corpus, le peuplier est cité une autre fois à Arles (10). Neuf caisses sont en métal (12,3 % des caisses dont le matériau est connu), soit six en fer (11), deux en argent, une en bronze. Les caisses sont normalement munies d’un couvercle, ce qui n’est précisé que cinq fois car c’est chose normale, mais cinq caisses sont signalées sans couvercle. Il est fréquemment indiqué (47 fois) que la caisse est munie d’une serrure et d’une clef, ce qui semble être la norme mais il est écrit 17 fois que le meuble est dépourvu de serrure et de clef, soit simplement de clef. Les dimensions sont rarement indiquées: les caisses sont dites « grandes » douze fois et « petites » vingt fois, « longues » deux fois. Un notaire arlésien, plus précis, donne des dimensions quatre fois lors du même inventaire d’une grande maison en 1434 : l’une des caisses est longue de dix palmes (soit 1,66 m), une de six (1 m), une de cinq (0,83 m) et une de deux (0,33 m) (12). C’est la contenance qui donne parfois une idée des dimensions : depuis cinq et huit setiers (soit environ 270 et 431 litres) (13) jusqu’à 50 setiers (environ 2 700 litres) (14), avec aussi des valeurs moyennes, de 16 à 18 setiers (15), ce qui laisse envisager des caisses de dimensions imposantes.
Le coffre (archa, arqua, arqueta, coffra, coffre, cremeria) est moins présent que la caisse : 14,91 % des meubles de rangement de notre corpus (nous n’intégrons pas les coffrets dans celui-ci). Le matériau utilisé est mentionné 13 fois seulement : huit sont en noyer, deux en pin. On voit donc que si la caisse est surtout en pin ou en sapin, le coffre, lui, est plutôt en noyer.
La différence entre la caisse et le coffre n’est pas toujours bien claire (16). L’usage ne les distingue guère. Les réserves de nourriture (farine, froment, figues…) sont plutôt conservées dans les coffres mais, en 1472, ce sont des caisses qui, dans une maison de Grasse, contiennent des figues et du froment (17). Un notaire remarque en 1451 la ressemblance d’une caisse avec un coffre: unam capsiam ad modum coffre (18). À plusieurs reprises nous trouvons l’expression capsia cremeria qui a la même signification (19). À Avignon en 1387, le notaire écrit deux fois archa sive caxa (20).
Coffres et caisses peuvent servir aussi de bancs. C’est le banc-coffre ou l’archibanc (arcibanc, archibancum, arcabancum, arcabanca, bancale). Les termes et expressions multiples utilisés reflètent-ils des variantes de ce meuble ? Dans une maison de Grasse en 1472, le notaire cite un banqum… ad modum capsea mais aussi deux fois une capsam longam ad modum banqui (21). Les archibancs de notre corpus ne sont qu’au nombre de 23 (6,35 %). Un archibanc est qualifié, en 1456, de pulchrum (22). Une caisse est de couleur rouge (23). Ce sont les seules mentions faisant allusion à un décor alors que les meubles conservés sont au contraire largement ornés (24).
Toute maison, même modeste, abrite au moins une caisse ou un coffre. Dans une maison élémentaire à Saint- Paul-de-Vence en 1492, une caisse et un archibanc font partie des meubles de l’unique pièce d’habitation située à l’étage, sur le cellier (25). Dans une maison de même type, à Fréjus en 1494, on compte un coffre dans le cellier et jusqu’à sept caisses et un coffre dans la pièce de l’étage (26).
Le contenu de ces meubles n’est pas toujours signalé. Parfois on le déduit de l’énumération quand on considère que le notaire cite d’abord le contenant puis énumère les objets du contenu. Le notaire est parfois plus explicite et emploie des expressions du type : una capsa in qua sunt res infra… (27) ou encore capsia in qua tenentur… (28) ou capsam… infra quam erant bona que sequntur… (29) ou coffras in qua reperta fuerunt res et bona que sequntur, ou arcam ad tenendum… (30) ou capsiam infra quam tenent… (31), etc.
Les objets ou produits entreposés dans les caisses et coffres sont extrêmement variés puisqu’il faut mettre là tout ce que l’on garde chez soi, à l’exception des liquides: vêtements et accessoires de costume, linge, literie, vaisselle de table et de cuisine, réserves de nourriture, livres, archives, armement…
Dans les demeures comportant des espaces diversifiés, le contenu des meubles varie en fonction de leur localisation. Les caisses et coffres entreposés dans la cuisine et le cellier, ou encore dans une chambre contiguë à la cuisine qui sert de dépense, contiennent les réserves de nourriture: blé (32), froment (33), farine (34), millet (35), figues (36), sel (37), viande et poissons salés (38). La farine est parfois aussi conservée dans une jarre (39) ou dans un sac (40), le blé dans un sac (41), mais c’est chose rare. Les caisses et coffres des autres pièces, camera ou aula, contiennent les autres objets. Une caisse de l’hôtellerie de Siffrède Trelhon à Avignon en 1387 contient huit plats, deux douzaines d’écuelles, cinq pichets et neuf cuvettes d’étain, une passoire de laiton, une râpe à fromage (42)…
À Arles en 1456, on trouve dans une caisse des vêtements de femme, dans une autre des nappes, des torchons et des draps (43). À Grasse en 1474, on inventorie dans un archibanc des serviettes, des couvertures, des chemises et vêtements de femme, dans un autre une réserve de fil de chanvre et de fil de lin, dans un troisième des chaînes, ceintures et anneaux d’argent, des bijoux et parures diverses (44). Chez le changeur Elzéar Roubat, à Avignon en 1397, deux caisses abritent des documents, notamment les instrumenta relatifs à la succession (45) ; une autre est destinée à recevoir les reliefs des repas (pour les animaux ?) (46). À Fréjus, en 1494, une caisse entreposée dans la cave contient des instrumenta en papier, un codex en parchemin et un livre de la vie du Christ (47) ; chez un ecclésiastique de Grasse en 1494, c’est un stock de patenôtres en corail (48). Beaucoup de coffres et de caisses sont signalés vides.
Dans une maison de Grasse inventoriée en 1472 on comptait six caisses (49). Dans la cuisine et le cellier, sans doute voisins, deux caisses étaient destinées à des réserves pour l’alimentation : celle de la cuisine contenait un setier de figues, celle du cellier un setier et demi de froment; dans la chambre jouxtant la cuisine, une caisse contenait de la toile (2 cannes 1/2), du drap (2 cannes 1/2), du fil de laine et de chanvre ; dans la seconde on énumère un livre, des vêtements et des ceintures; s’y ajoute une petite caisse en argent dont le contenu n’est pas donné ; la literie et la vaisselle présentes dans cette chambre suggèrent une utilisation de cet espace à la fois comme chambre à coucher et salle à manger. La dernière pièce, à l’étage supérieur, contenait une seule caisse dont l’usage n’est pas précisé. En 1418, une autre maison composée d’une pièce au-dessus d’un cellier contenait dans celui-ci un coffre pro germo tenando et, dans la pièce unique, une caisse disposée à côté du lit, une autre à côté de la fenêtre (50). À Viviers, en 1348, c’est un coffre qui est au pied du lit (51).
Le dressoir (dressatorium, dreysador, dressador) est représenté 16 fois (4,41 %). Dans un inventaire, le terme de dressoir est donné comme synonyme de buffet (52). Notre corpus donne peu d’indications sur ce meuble. Il est signalé cinq fois en bois, deux fois en pin ou sapin. Plutôt présent dans de grandes maisons (53), il est localisé dans la salle, la cuisine ou la garde-robe. Il peut apparaître comme un meuble de luxe mais l’un d’eux est « de peu de valeur » (54). Selon Victor Gay (55), le dressoir correspond à deux sortes d’objets : une succession « de tablettes disposées en gradins, posées sur une table et destinées, après avoir été couverte d’une parure de lingerie, à asseoir les pièces de montre et une partie de la vaisselle de service ». Ou bien c’est un meuble « composé d’un coffre à guichets placés souvent sur des tiroirs et surmonté d’une tablette », le corps reposant sur des piliers qui laissent entre eux un vide dans le bas. Si c’est un meuble de montre, il nous est signalé une fois avec une partie fermée, puisque muni d’une serrure et d’une clef (56) ; ce même meuble est aptum ad tenendum scutellos. Un autre est aussi pro scutellis tenando et le détail des pièces présentées est donné : 11 écuelles d’étain, 4 plats d’étain, 2 petits plats, encore 8 écuelles d’étain (57).
L’armoire de bois (armarium fuste ou une fois scudelhier fuste) est encore moins représentée dans nos textes: six occurrences (1,65 %). L’une est dite « grande » ; l’essence du bois utilisé n’est jamais mentionnée, ni le contenu. Quelques beaux exemplaires de ce meuble sont conservés dans des églises : celle de l’abbatiale d’Obazine, du début du XIIIe siècle, est fermée par deux portes en plein cintre. Celles des cathédrales de Bayeux et de Noyon (fin XIIIe siècle) sont munies respectivement de sept et six portes disposées sur deux niveaux (58).
L’armoire murale
Avec l’armoire murale, nous quittons le domaine du mobilier. C’est bien ce que nous confirme une représentation d’un armarium ouvert dans le mur d’une chambre pour l’illustration du songe du pape Innocent, peint par Tomaso de Modène à l’église Sainte-Catherine, œuvre présentée aujourd’hui au Museo Civico de Trévise ; la représentation est accompagnée de l’inscription: armario et capse differunt in eo scilicet quod capsae plerumque parve sunt et mobiles, armaria aedium parietibus interdum affiguntur, ut tolli non possint (59). C’est bien d’une structure murale, puisqu’inamovible, qu’il est question ici vers 1330.
On peut sans doute estimer que lorsque les inventaires n’ajoutent pas la précision fuste après la désignation armarium, il doit s’agir d’une armoire murale. C’est sûrement le cas lorsque le notaire localise un meuble par rapport à un armarium: arcibanc… in dicta sala juxta armarium (60).
Notre corpus ne contient que cinq mentions d’une armoire où le bois n’est pas mentionné. Sur les cinq, deux peuvent être considérées comme des pièces et non comme des armoires, à l’image de ce que nous montrent les monastères où l’armarium peut être une petite pièce donnant sur le cloître et destinée à entreposer les livres (Le Thoronet, Silvacane). Dans un inventaire de la maison claustrale de Grasse en 1486, l’armarium est cité au même rang que l’aula et le penore : il s’y trouve un coffre à reliques, un autre coffre, une croix, un encensoir, des nappes. Chez un menuisier de la même ville en 1472, l’armarium désigne l’espace aménagé sous l’escalier (subtus graderio) ; on y a rangé des peignes à carder le chanvre, un petit stock de lin, deux jarres de terre pour l’huile (61).
Ph. Bernardi a trouvé aussi, à Aix-en-Provence, ce dispositif sous le nom d’armarium (62). De la même façon, l’armarium (bibliothèque) de l’abbaye cistercienne de Fontfroide (Aude) était placé sous l’escalier qui menait au dortoir (63).
Les textes de prix-faits étudiés par Ph. Bernardi distinguent bien l’armoire murale: armoire à construire dedins lasdictas muralhas.
Dans un seul cas, pour notre corpus, le contenu d’un armarium sive scudellerum est décrit: une aiguière d’étain, un pot d’étain, un plat et deux petites jattes d’étain (64). Si nos textes sont particulièrement avares en renseignements sur les armoires murales, l’observation du bâti nous renseigne au contraire abondamment. Nous ferons reposer notre corpus sur les observations faites autour de Viviers, dans le Sillon rhodanien et, accessoirement, dans la vallée de l’Ardèche, dans les localités suivantes: Balazuc, Cruas, Rochemaure, Saint- Montan, Saint-Thomé, Saint-Vincent-de-Barrès et Viviers pour l’Ardèche, Châteauneuf-du-Rhône, La Garde- Adhémar, Montélimar et Saint-Paul-Trois-Châteaux pour la Drôme. Nous n’intégrerons pas dans notre corpus les niches d’évier munies d’étagères; certes une telle niche n’est pas très différente d’une armoire munie d’un évier mais la fonction première du dispositif n’est pas la même.
Les armoires murales se présentent sous des formes diverses, avec une évolution dans le temps qu’il n’est pas toujours facile de préciser. Les datations sont souvent aléatoires et reposent sur la forme de l’arc, la nature des outils de taille utilisés, la chronologie relative des unités architecturales. Nous distinguerons dans un premier temps les exemplaires antérieurs au XVe siècle avant d’envisager l’évolution de ce dispositif à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle.
Exemplaires antérieurs au XVe siècle
Parmi les armoires étudiées les plus anciennes, l’une constitue un exemplaire unique. Elle se trouve au premier étage d’un bâtiment qui a probablement été le logis seigneurial du premier château de La Garde-Adhémar (Drôme) et que l’on pourrait faire remonter à la fin du XIIe siècle. L’armoire est profonde de 63 cm et large de 1,50 m alors que les piédroits de l’ouverture ne sont espacés que de 77 cm (fig. 1). Elle est couverte de quatre dalles, celle du milieu reposant, en façade, sur deux coussinets; les piédroits sont affectés d’un tout petit chanfrein. À l’intérieur, des feuillures indiquent la présence d’un rayon (65). Une feuillure périphérique suggère la présence d’une porte. La particularité de l’armarium de La Garde-Adhémar, avec son ouverture plus étroite que l’armoire elle-même, se retrouve à la grosse tour carrée du château de Montbard. Viollet-le-Duc en a donné un relevé dans son Dictionnaire (66).
Une catégorie plus largement représentée est constituée par des armoires coiffées d’un arc en plein cintre reposant sur des piédroits assez courts, presque toujours par l’intermédiaire de tailloirs affectés généralement d’un chanfrein. Les piédroits sont presque toujours dépourvus de feuillures pour les étagères et l’encadrement presque toujours dépourvu de feuillure pour la porte. L’unique étagère devait reposer sur les tailloirs. L’armoire ne se prolonge jamais jusqu’au niveau du sol. Citons, pour le XIIe siècle et le début du suivant, le château des Adhémar à Montélimar (au premier étage, dans la petite pièce largement ouverte de baies, située au-dessus de l’entrée, dans le corps de bâtiment qui fait saillie sur la masse du donjon) (67), une maison-tour rectangulaire à La Garde- Adhémar (au rez-de-chaussée d’une pièce voûtée d’un berceau) (68) (fig. 2), une autre maison-tour à Saint-Thomé (salle voûtée du premier étage), la tour aristocratique devenue ensuite hôtel-de-ville à Viviers (rez-de-chaussée d’une pièce voûtée d’un berceau) (69), l’un des châteaux de Rochemaure, dit tour du Guast (rez-de-chaussée); pour les XIIIe et XIVe siècles une maison de Saint-Paul-Trois-Châteaux (rez-de-chaussée) (70), une à Saint-Montan (premier étage) (71), une autre à Balazuc (deux armoires sur les deux murs latéraux d’un rez-de-chaussée correspondant à une boutique et autrefois couvert d’un plancher) (fig. 3). Habituellement la largeur va de 1 m à 1,30 m, la hauteur ne dépasse pas 1,30 m. L’armarium du château de Montélimar est le plus grand, avec 1,91 m de large, 1,74 m de haut, 0,74 m de profondeur; il comporte exceptionnellement des feuillures pour une étagère à la naissance de l’arc.Autre exception, l’armoire de la tour de Viviers qui comporte des feuillures pour deux étagères, la plus haute à la naissance de l’arc, et une autre pour une porte. L’appui de l’armoire de la maison-tour de La Garde-Adhémar est constitué par une pierre d’évier qui ne semble pas appartenir à l’état premier du dispositif.
À ce corpus issu d’une même région, ajoutons un exemple arlésien : une armoire est conservée dans chacune des deux pièces de la maison. Chacune est couverte d’un arc surbaissé, munie de feuillures pour deux étagères et pour une porte. L’une est encadrée de colonnettes en trompe-l’oeil. L’autre est ornée d’un faux appareil qui prolonge celui qui couvre les murs de la pièce. Le bâtiment serait daté de la fin du XIIIe siècle (72).
Une variante consiste à placer un tailloir intermédiaire sur chacun des piédroits afin de supporter une étagère de plus. Nous l’observons avec un arc en plein cintre à Viviers (pièce du premier étage d’une habitation élémentaire) (73) (fig. 5), avec un arc sans doute en anse de panier dans une maison-tour de Rochemaure (premier étage) (74), avec deux linteaux pour un armarium double dans une grande maison de Viviers (rez-de-chaussée) (75) (fig. 4). Un armarium au rez-de-chaussée d’une maison de Balazuc comporte une étagère intermédiaire en pierre, reposant sur deux tailloirs chanfreinés ; la partie supérieure de la niche, plus étroite que la partie inférieure, est coiffée d’un linteau.
Un dernier type, plus tardif sans doute, est caractérisé par une couverture en arc brisé. Les exemplaires connus sont pourvus de feuillures pour les étagères et les portes. Les piédroits sont le plus souvent dépourvus de tailloirs. Dans une maison de Saint-Paul-Trois-Châteaux (76) (fig. 6), le dispositif est intégré dans un encadrement en pierre de taille qui fait saillie sur le nu du mur ; les feuillures pour deux étagères sont taillées, les premières sur les tailloirs, les secondes dans l’intrados de l’arc. Au rez-de-chaussée, autrefois voûté d’arêtes, d’une maison de Saint-Vincent-de-Barrès, l’ouverture présente des feuillures pour trois étagères, la plus haute à la naissance de l’arc. Dans le même village, mais hors de son contexte d’origine (77), un autre armarium comporte deux baies à arc brisé, chaque arc composé de trois pierres, les sommiers et une pierre en arc brisé formant la clef ; des feuillures sont destinées à deux étagères, les plus hautes entaillant l’intrados des arcs (fig. 7).
Nous connaissons, à Viviers (78), une autre armoire double, haute de 1,57 m, avec deux arcs en plein cintre, des feuillures et des gonds indiquant la présence de portes; deux étagères existaient dans chaque niche, la plus haute à la naissance de l’arc. Mais sa datation n’est pas assurée.
Exemplaires des XVe et XVIe siècles
Les armoires murales de cette époque sont très nombreuses à être conservées et leur typologie est de prime abord moins variée. Toutes sont aménagées sous un arc unique, soit en plein cintre, soit surbaissé, soit en anse de panier. Dans un cas (Viviers, impasse du Bardas), l’arc est remplacé par un entablement reposant sur des pilastres, dans un système qui se veut maladroitement antiquisant (fig. 11). L’entourage de l’armoire fait presque toujours saillie sur le nu du mur. Les piédroits sont habituellement dépourvus de tailloirs. Fréquemment, et c’est une nouveauté, les feuillures destinées à l’encastrement des rayons sont inclinées afin de permettre une présentation plus agréable de la vaisselle de qualité (fig. 8, 10). On a parfois aménagé plus tard de nouvelles feuillures, horizontales cette fois, pour revenir à un rangement plus classique.
La formule la plus simple correspond à une niche qui, sous un arc en plein cintre, se prolonge à peu près jusqu’au niveau du sol. Nous l’avons observé à Viviers (79) et à Saint-Vincent-de-Barrès (80). Dans le premier cas seulement, une feuillure est destinée à recevoir une porte. Dans une variante, l’arc est remplacé par un linteau: nous en avons relevé un exemple à Saint-Vincent-de-Barrès, avec feuillure périphérique (81).
Autre nouveauté: l’armoire de cette époque peut recevoir des prolongements vers le bas. Il peut s’agir d’un simple prolongement de l’armoire qui s’ouvre alors au niveau du sol (Viviers, 16, rue du Château) (fig. 10). À ce niveau peuvent s’ouvrir deux petits placards bas dont le linteau est constitué par l’appui de la partie principale de l’armoire (fig. 8, 11, 12). Ces placards étaient toujours fermés comme le montre la présence constante d’une feuillure et la partie haute reste au contraire presque toujours ouverte (plusieurs exemples à Cruas, un exemple à Saint-Montan). La deuxième solution consiste à placer un évier au bas de l’armoire. Dans ce cas l’armoire n’est pas fermée et, de part et d’autre de l’évier, sont disposées deux tablettes surélevées, à la tranche profilée d’un bandeau avec chanfrein ou cavet, destinées à poser les réserves d’eau. À Châteauneuf-du-Rhône (82), un exemplaire plus complexe montre l’armoire divisée en deux parties par un rayon posé sur des tailloirs aux deux- cinquièmes de la hauteur; la partie haute était fermée, mais pas la partie basse liée à l’évier (fig. 9).
On voit donc assez clairement s’établir une évolution de la typologie: pour ce qui est du couvrement, domine dans un premier temps l’arc en plein cintre, l’usage du linteau étant plus exceptionnel; puis vient l’arc brisé, enfin l’arc en anse de panier mais encore l’arc en plein cintre et, sans doute, le linteau (83). L’arc segmentaire semble exister à des moments divers. Les piédroits, d’abord munis majoritairement de tailloirs, en sont ensuite systématiquement dépourvus. Les armoires les plus anciennes présentent une hauteur assez faible et sont rarement fermées alors que viennent ensuite une fermeture systématique et, plus tard, des prolongements jusqu’au sol, de façon variée. Cette évolution n’est pas forcément la même dans d’autres régions où, par exemple, la fermeture par une porte engagée dans une feuillure, existe dès le XIIe siècle (84).
Conclusion
L’armarium a réuni les fonctions de deux meubles utilisés à la même époque : celui de la caisse ou du coffre, correspondant à une simple conservation des objets, et celui du dressoir destiné à une présentation de la vaisselle de qualité (en étain surtout). Que l’armoire soit fermée ou ouverte, munie d’étagères horizontales ou disposées en biais, c’est l’une ou l’autre de ces fonctions qui est privilégiée. Pour l’époque la plus récente de notre étude, les deux fonctions sont même superposées, conservation en bas, montre au-dessus. La fréquence de cet aménagement contraste, nous l’avons vu, avec sa rare apparition dans les textes.
Une approche iconographique serait nécessaire pour compléter l’étude. De la même façon, une approche plus complète du mobilier, parallèlement à ce que nous avons fait pour l’armoire murale, nécessiterait une confrontation avec les meubles conservés; nous constaterions sans doute la même opposition entre les sources textuelles qui mentionnent les meubles les plus courants, donc rarement décorés, et le corpus des objets conservés qui ont justement été conservés en raison de leur qualité. Une approche rapide nous apprend que les coffres conservés sont généralement en chêne alors que ce bois n’apparaît jamais dans notre corpus ! C’est cette confrontation entre les sources qui m’a semblé le plus intéressant dans cette approche du rangement à l’intérieur de la demeure médiévale.