Les parcellaires urbains n’ont pas véritablement attisé jusqu’à présent l’intérêt des chercheurs. L’histoire des formes urbaines médiévales en France est d’ailleurs assez pauvre. L’ouvrage de Pierre Lavedan et de Jeanne Hugueney (1), qui demeure la référence principale dans ce domaine, date déjà de 1974 et, restant à l’échelle des ensembles, n’était pas véritablement descendu à l’échelle parcellaire. D’approche plus facile que les villes constituées dans la durée, les villes fondées y tenaient une part majeure et ce sont elles, notamment les bastides du Sud-Ouest, qui ont par la suite engendré la littérature la plus fournie. Les structures parcellaires y ont été abordées de façon simplifiée.
Les plans parcellaires actuels, par leur précision, constituent la principale source documentaire permettant d’étudier les formes parcellaires anciennes. Leur exploitation est évidemment soumise à réserves et suppose une permanence des tracés qu’il convient de pouvoir estimer. Cette permanence peut s’évaluer cependant par le croisement des données fournies par les plans cadastraux anciens dit « napoléoniens », par les vestiges archéologiques en place et, parfois, par les textes.
Les constructeurs du Moyen Âge, du moins à partir du XIIe siècle, ont eu la possibilité de choisir entre plusieurs types d’organisation parcellaires pour arranger les tissus urbains. Antérieurement, il n’est pas certain que le principe d’urbanisation continue, consistant à organiser les fronts bâtis sur la rue, ait été aussi répandu qu’on pourrait le supposer. La découverte assez récente des constructions en cœur d’îlot (2), relevant d’une certaine façon d’un mode d’organisation pavillonnaire, inciterait à imaginer les villes des Xe et XIe siècles comme des espaces d’urbanisation discontinue, ce qu’ils pouvaient être encore au XVe siècle. L’étude de certains terriers comme celui de Figeac vers 1400 (3), nous restitue en effet les rues comme des successions de parcelles bâties et de sols libres.
L’observation du parcellaire des villes fondées dans le Sud-Ouest de la France entre le milieu du XIIe siècle et le milieu du XIVe siècle a montré que dans cette période, les principes de l’urbanisation continue s’étaient imposés.
Deux grands types de tissus urbains sont repérables dans les tracés de ces villes, correspondant schématiquement à deux grandes zones territoriales.
Au sud de la Garonne, en Gascogne et en Languedoc, les constructeurs de villes neuves, dès le XIIe siècle, ont opté pour une organisation en bandes continues dans laquelle les maisons, séparées par des murs mitoyens, présentaient sur la rue principale une façade en goutterot.Au nord de la Garonne, en Aquitaine, les constructeurs ont opté au contraire pour une organisation en séries disjointes, dans laquelle les maisons séparées par des venelles présentaient sur la rue principale des façades à pignons. Ces deux grands types de parcellaire ont évidemment donné lieu à de nombreuses variantes et formes hybrides. Les séries de façades à pignons séparés par des murs mitoyens portant des chéneaux encaissés, dont la ville de Riom en Auvergne offre un exemple, en sont l’une des manifestations. Pour le Sud-Ouest de la France, la répartition géographique schématique (sans doute trop) de ces deux grands types de parcellaire paraît a priori assez claire mais doit évidemment donner matière à discussion, notamment dans le cas des régions pyrénéennes.
Des études plus poussées permettraient sans doute l’identification d’autres arrangements. Elles restent à faire.
Quoi qu’il en soit, l’observation des bastides a montré que les deux grands types de parcellaire évoqués plus haut ont correspondu à deux grands modèles d’urbanisation, laissant supposer qu’ils ont résulté de deux cultures distinctes. Ces deux grands modèles peuvent se caractériser, entre autres, par quelques caractères à peu près constants.
Dans le modèle « gascon » (4), représenté notamment par la bastide de Mirande, les maisons jointes à goutterot sur rue disposent d’un espace libre (jardin) en fond de parcelle. L’église est séparée de la place publique par un îlot. Une variante de ce modèle (d’origine cistercienne ?), représentée par la bastide de Gimont, se caractérise par le fait que la ville y est organisée de part et d’autre d’une rue axiale traversant la place publique et la halle.
Dans le modèle « aquitain » (6), représenté par la bastide archétypique de Monpazier, les maisons disjointes à pignons séparés par des venelles sur la rue principale et à goutterot sur les rues secondaires occupent la totalité de l’espace urbanisé, excluant les jardins. L’église est implantée dans un îlot voisin de la place, à l’un des angles de celle-ci. D’autres critères peuvent intervenir dans la définition de ces modèles, tels que la géométrie carrée ou rectangulaire des îlots et leur mode d’arrangement interne et, ici aussi, de nombreux modèles hybrides pourraient être mis en évidence. Des problèmes de droit, notamment touchant à la mitoyenneté et à la gestion des eaux pluviales et usées, entre autres contraintes (rapport de l’église au marché…), semblent avoir joué un rôle
déterminant dans la conception de ces différents modèles.
À côté de ces deux modèles urbains prépondérants et de leurs variantes, la bastide de Villefranche-de-Rouergue se distingue par son organisation parcellaire originale.
Dans ce « troisième type » d’organisation urbaine, les parcelles, bâties sur la totalité de leur surface, sont regroupées en doubles lanières, perpendiculaires à la rue principale, séparées alternativement par des ruelles et refendues par des venelles. Les constructions présentent des pignons non mitoyens sur la rue mais sont mitoyennes sur les ruelles, lesquelles, de même que les venelles, recueillent les égouts de toiture. Par le fait que l’organisation parcellaire de cette bastide se retrouvait également dans de nombreux bourgs du Quercy, nous avions proposé de le désigner sous l’appellation (impropre) de modèle « quercinois » (6). Le terme de « parcellaire binaire » que nous proposons ici pour désigner l’organisation en double lanière du parcellaire et celle, alternée, de la voirie est lui-même discutable et n’est à retenir que dans l’attente d’une meilleure terminologie. Notons que H. Lavedan et
J. Hugueney, mettant en avant le réseau viaire, avaient proposé le concept de tissu en « arêtes de poisson », à propos notamment de la bastide du Plan en Haute-Garonne (7).
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Le parcellaire binaire, définition du modèle : le quartier de l’Ortabadial à Figeac
En dehors de Villefranche-de-Rouergue dont la ville médiévale attend une étude détaillée, le phénomène du parcellaire binaire offre une expression aboutie à Figeac, dans le quartier de l’Ortabadial. Ce quartier a été en grande partie détruit au début du XXe siècle pour mettre en valeur l’Hôtel de la Monnaie (entre autres raisons), mais le plan cadastral napoléonien de 1833 et la partie qui en est conservée, offrent une lecture très nette de son organisation planifiée (fig. 1). Ce quartier peut donc servir à décrire les principes du modèle.
La rue principale (rue de l’Ortabadial), large de 4 m à 4,50 m distribue de part et d’autre un réseau de traverses régulièrement espacées et moitié moins larges (de 2 à 2,40 m), souvent en impasse. Entre les ruelles, les îlots très étirés ont une largeur de 11,50 m à 12 m pour une longueur de près de 50 m. Ils sont recoupés dans leur axe par une venelle de moins de 0,50 m de largeur, impropre à la circulation. Hormis les « dents creuses » libérées par des maisons détruites, l’organisation de ces îlots n’offre aucun espace libre.
Trois types de parcelles bâties, donc de maisons, ont pris place dans cette organisation. Sur la rue principale, la tête des îlots est occupée par des maisons relativement importantes, de 6 x 12 m environ. Leurs pignons, disjoints, séparés en principe par la venelle d’axe, sont dressés sur la rue (fig. 2). Chacune de ces maisons de tête dispose d’une façade latérale secondaire sur la ruelle de traverse, d’une élévation sur venelle et d’une élévation arrière aveugle, mitoyenne avec les maisons suivantes. Dans certains cas, la tête d’îlot peut être occupée par une maison unique, plus importante, occupant l’emplacement de deux parcelles. C’était le cas de la maison connue aujourd’hui sous l’appellation d’«Hôtel de la Monnaie ».
À l’arrière des maisons de tête, les maisons courantes sont le plus souvent de moindres dimensions et s’organisent en rangées continues sur les ruelles traversières. Elles ne disposent que d’une façade à goutterot sur l’espace public, d’une élévation postérieure ouvrant sur la venelle commune et de deux élévations aveugles mitoyennes. Pour une profondeur calibrée de 5,80 à 6 m, les façades de ces maisons sont de largeur très variable, en général de 5,50 à 6 m de large mais pouvant monter jusqu’à 9 m et descendre dans certains cas jusqu’à 3 m.
Dans le parcellaire binaire de l’Ortabadial de Figeac, une gradation hiérarchique assez marquée distingue donc les maisons de tête, à deux façades et de dimensions relativement larges (de 70 à 140 m2 au sol), et les maisons courantes, à façade unique et de dimensions plus modestes (de 20 à 60 m2 au sol). Le nom même du quartier, l’Ortabadial, indique qu’il fut urbanisé sur un ancien jardin abbatial au cours d’une opération planifiée dont la régularité du parcellaire témoigne encore aujourd’hui. Les caractères stylistiques de l’Hôtel de la Monnaie, compatibles avec ceux des autres maisons médiévales conservées dans ce quartier, conduisent à supposer que cette opération d’urbanisation volontaire fut réalisée vers le milieu du XIIIe siècle (8).
Applications du modèle dans le département du Lot
Le parcellaire binaire observé à Figeac, loin de constituer un cas isolé, se rencontre dans un nombre important d’agglomérations des régions voisines, en Rouergue, en Quercy, en Agenais, ou encore en Périgord (fig. 3). Dans le département du Lot, où une opération d’inventaire thématique a permis de visiter la totalité des agglomérations communales, il a pu être repéré dans une vingtaine de bourgs. À Figeac même, le faubourg du Pin, hors les murs, présente un parcellaire du même type que celui de l’Ortabadial, du moins dans sa partie touchant à la rive nord du Célé. À Cahors, les ruelles de traverses qui s’étirent entre la rue Nationale et les rues Fondue-Basse et de l’Université desservent également quelques îlots en double lanière. On en rencontre également dans le quartier des Badernes près des anciennes tours de Vayrols ainsi qu’aux abords de la rue de la Chantrerie. Dans les bourgs du département, les applications du parcellaire binaire ne sont pas rares, mais apparaissent le plus souvent anecdotiquement au milieu de tissus urbanisés sans organisation évidente. À Duravel, Dégagnac (îlots détruits), Gignac, Goujounac, Loubressac, Marminiac, Martel, Montcuq, Montdoumerc, Rudelle, Saint-Céré, Saint-Pierre-Toirac, Salviac, quelques îlots seulement sont conformes au modèle de base. En revanche, à Cajarc, Faycelles,
Luzech, Mercuès, Puy-L’Évêque et Sousceyrac, le parcellaire binaire trouve des applications plus systématiques. À Cajarc, le quartier planifié qui s’étend entre l’ancien bourg castral et la rivière Lot est supposé résulter d’un lotissement décidé par l’évêque de Cahors en 1243 (9). À cette date, cent quatre ayrals ou emplacements de maisons furent concédés aux habitants dans l’ancienne condamine épiscopale, afin d’agrandir l’emprise de la ville (fig. 4).
À Faycelles, le bourg castral planifié, possession des abbés de Figeac, développe un parcellaire semblable. Il pourrait être de peu postérieur à 1257, date à laquelle l’abbé de Figeac récupéra l’église paroissiale, jusqu’alors détenue par l’évêque (fig. 3, n° 12). À Luzech, la maison médiévale dite «des Consuls » et la chapelle Saint-Jean s’inscrivent dans une séquence de parcellaire binaire de l’ancien bourg castral, plus ou moins rigoureusement organisée entre la rue des Consuls et le Lot (fig. 5). Dans le faubourg du Barry en revanche, son utilisation plus systématique a donné lieu à une série de six ou sept îlots très allongés (12 x 70 m environ) rappelant ceux de Cahors par leur géométrie (fig. 3, n° 13 et fig. 6). Le bourg castral fit l’objet d’une restructuration après son acquisition par les évêques de Cahors en 1227 et reçut des coutumes en 1270, date à laquelle le quartier du Barry était déjà mentionné (10). Puy-L’Évêque, comme Luzech, est une fondation épiscopale postérieure à 1227.
Le quartier de la Cale (ancienne ville basse dite aussi « barri de la Trincade »), proche du Lot, y présente un parcellaire binaire encore parfaitement lisible (fig. 3, n° 10) (11). À Mercuès (12), la bastide épiscopale, nettement séparée du quartier paroissial, est organisée à peu près symétriquement à partir d’une petite place centrale et de trois rues parallèles distribuant six ou sept îlots en double lanière de 12 à 13 m de largeur sur 52 m de longueur. On notera que quatre de ces cinq bourgades résultent d’une initiative des évêques de Cahors, la cinquième, de même que le quartier de l’Ortabadial de Figeac, étant une création de l’abbé de Figeac.
Applications en Aquitaine orientale
En Corrèze, quelques plans publiés dans le Congrès archéologique de 2006 permettent de repérer à Brive, dans les quartiers sud de la ville, un important ensemble de parcellaire binaire planifié autour de l’ancienne rue de l’Estang (ancien quartier de tanneurs?). On trouve également quelques traces d’îlots semblables à Beaulieu.
En Dordogne, on identifie quelques îlots caractéristiques à Sarlat, à Bergerac et surtout à Belvès où une part significative du bourg castral, dite le «Petit Fort», en principe fondé vers 1240, présente une série d’îlots en doubles lanières (fig. 3, n° 8) (13).
En Lot-et-Garonne on peut mentionner Pujols, reconstruit après la croisade des Albigeois, où le parcellaire binaire est cependant établi sur des dimensions plus larges que celles rencontrées habituellement dans la région. En Tarn-et-Garonne, le modèle est surtout représenté dans la partie quercinoise du département, à Puylagarde et à Caylus. À Puylagarde, dont la fondation est attribuée à Alphonse de Poitiers, le cœur du bourg planifié est constitué par un îlot binaire caractéristique, de 15 x 54 m (fig. 3, n° 11). À quelques kilomètres, Caylus offre le cas remarquable d’une extension planifiée programmée par les comtes de Toulouse à partir d’un bourg castral antérieur (fig. 3, n° 9). À partir des années 1240 (peut-être dès 1226), des lots avaient été concédés aux habitants à l’extérieur de l’enceinte primitive. Il est possible cependant que l’essentiel de l’organisation planifiée que distribue l’actuelle rue Droite n’ait été réalisée que dans les années 1250 à l’initiative d’Alphonse de Poitiers, à l’époque où le bourg fut érigé en chef-lieu de baylie (1257) et reçut sa charte de coutumes (1262) (14). Dans la dizaine d’îlots binaires, de 12 à 15 m de largeur sur 55 m de profondeur, très régulièrement agencés au nord de la rue Droite, se rencontre l’essentiel des maisons médiévales de la ville et notamment la « maison des Loups » dont les caractères stylistiques confirmeraient les dates proposées pour la création du lotissement. Quelques îlots du même type apparaissent dans les tracés parcellaires de Saint-Antonin-Noble-Val et de Montricoux.
En Aveyron, mais dans un secteur géographique contigu, le bourg de Villeneuve-d’Aveyron présente une organisation comparable autour de la place du marché ainsi que dans l’ancien faubourg Saint-Roch, hors les murs (fig. 3, n° 6 et 7). C’est à une toute autre échelle, en revanche, que le modèle parcellaire binaire a été mis en œuvre dans la bastide de Villefranche-de-Rouergue (15) où les planificateurs l’ont étendu à l’ensemble de l’agglomération, en le systématisant jusqu’à l’illogisme (fig. 7 à 9). Tandis que par essence, le modèle binaire présente une géométrie unidirectionnelle, la bastide s’organise en effet sur deux axes perpendiculaires. Le plan cadastral actuel permet de reconnaître près de 70 îlots (sur 140 environ) dans lesquels, malgré quelques réalignements viaires, l’organisation parcellaire est restée parfaitement conforme au modèle et une vingtaine d’autres qui en présentent des variantes plus ou moins déformées. Les caractéristiques dimensionnelles de ces îlots sont comparables à celles de Puylagarde: entre 14 et 17 m de largeur (le plus souvent 15 m) pour une longueur de 60 à 17 m (16). Cinq rues parallèles orientées est-ouest et deux rues perpendiculaires nord-sud, de 5,50 à 6 m de large pour les plus importantes, constituent l’ossature viaire de la ville, quatre d’entre elles délimitant à leur rencontre une place approximativement carrée. Elles distribuent un important réseau de ruelles de traverses, de 2 à 3 m de largeur. Les maisons de tête, sur les rues principales, disposent d’une emprise au sol de 7,50 m x 15 à 20 m, les maisons courantes, sur ruelles, ne disposant que de 4,50 à 7,50 m de façade sur 7 à 7,50 m de profondeur. La fondation de la bastide, due à Alphonse de Poitiers, serait intervenue dès les années 1250-1252.
Applications hors de l’Aquitaine orientale
D’autres applications abouties du modèle parcellaire binaire peuvent être mentionnées hors de la zone Quercy-Rouergue-Périgord. En Volvestre (Haute- Garonne), le bourg planifié du Plan (17) en offre une application remarquable (fig. 10). Cette bastide (?) passe pour être une fondation tardive des comtes de Comminges: on l’attribue au milieu du XIVe siècle, en raison de la date de sa charte de coutumes (1366). La systématisation du modèle binaire a abouti ici à une organisation rigoureuse, en dix îlots semblables, enveloppés dans un carré de maisons formant enceinte de 110 m de côté, à peine déformé par la configuration du cours d’eau voisin. Le plan général de cette agglomération planifiée rappelle étrangement celle du village piémontais de Candelo (fig. 11), où, comme dans d’autres « refuges » de la région de Biella, l’agglomération fortifiée présente une organisation parcellaire remarquablement conservée. On y distingue huit îlots caractéristiques recoupés par une venelle (riana). Mais, contrairement aux exemples du Sud-Ouest français, la hiérarchisation des voies est ici inversée, la prépondérance étant accordée aux traverses, plus larges que l’axe de distribution. Selon, Micaela Viglino Davico (18), les maisons y occupent une surface de 30 à 40 m2 au sol et sont constituées de deux pièces superposées, une cave et une chambre haute à usage de magasin, accessible par une échelle. Ces constructions très modestes, de 5 m d’élévation, n’étant pas prévues comme habitations permanentes, ne comportent ni escalier, ni cheminée. L’ensemble de ces « refuges » semble avoir été fondé dans la seconde moitié du XIVe siècle.
En Ligurie,Villanova d’Albenga,Vessalico, Bardineto, Riva-San-Stephano, offrent des configurations comparables.
À Bilbao (19), l’ensemble de la ville médiévale est établie sur un modèle parcellaire semblable, mais plus largement dimensionné (fig. 12). Les îlots en double lanière ont en effet une trentaine de mètres de largeur et plus de 80 m de longueur. Cette version basque du parcellaire binaire se retrouve également à Guernica et à Vitoria.
Repérés au hasard des publications, on pourrait sans doute mentionner de nombreux autres exemples d’application du parcellaire binaire; certains, hors de France comme c’est le cas à Zürich (20), d’autres à Paris dans plusieurs quartiers inclus dans la ville close au XIVe siècle tel que le bourg Saint-Martin des Champs (21).
L’organisation des «loges » de la foire du Lendit, réimplantée au XVIe siècle à proximité de l’abbatiale de Saint-Denis dans le quartier de la Panetière, encore parfaitement lisible sur des plans du XVIIe siècle, pourrait fournir une piste quant à l’origine du modèle qui évoque l’organisation des étals de foire. Une autre piste de réflexion est suggérée par le fait que dans un grand nombre des exemples mentionnés, les séquences de parcellaire binaire sont confrontées à la présence d’une rivière (Figeac, Cajarc, Puy-L’Évêque, Luzech, Brive, Bilbao, Zürich…) ou à celle d’une enceinte (Caylus, Pujols, Cahors). Rien de définitif ne se dégage pour le moment de ces observations.
Repères chronologiques
Quelle que soit l’origine du modèle, la concentration géographique des applications du parcellaire binaire dans une zone de l’Aquitaine orientale recouvrant le Quercy, le Périgord méridional, le Haut-Agenais, le Bas-Limousin et les marches rouergates est manifeste. Les explications d’une telle localisation restent toutefois à trouver. Est-ce un hasard ? Cette aire de diffusion semble se superposer à celle que l’on observe pour d’autres formes particulières de la construction médiévale du XIIIe siècle telles que les supports de bannes métalliques, entre autres.
Dans l’Est aquitain, les dates de fondation des bourgs ou des quartiers planifiés à parcellaire binaire se concentrent entre la seconde moitié du XIIe siècle et le troisième quart du XIIIe siècle. Le modèle paraît cependant avoir connu un regain d’intérêt au milieu du XIVe siècle (Le Plan) et il est vraisemblable qu’il ait été reconduit après la guerre de Cent ans, notamment à l’occasion de la reconstruction de certains faubourgs comme ce fut peut-être le cas au faubourg du Pin de Figeac. La présence encore aujourd’hui d’un certain nombre de maisons médiévales dans les tissus parcellaires concernés tend à confirmer ces repères chronologiques. Les deux plus connues, la maison dite « Hôtel de la Monnaie » de Figeac et « la maison des Loups » de Caylus, sont en effet toutes les deux attribuables au milieu ou au troisième quart du XIIIe siècle. Les formes en plein cintre de la fenêtre géminée d’une maison de Belvès inciteraient à lui accorder une datation un peu plus haute, sans doute la première moitié du XIIIe siècle. D’autres exemples de maisons médiévales antérieures au XVe siècle incluses dans des îlots en double lanière peuvent être rencontrés à Sarlat, Saint-Céré (fig. 13), Cahors, Puy-L’Évêque, Luzech (fig. 5 et 6), Cajarc (fig. 4), Figeac (fig. 2), Caylus, Villeneuve d’Aveyron (fig. 17, 18).
Parcellaire et typologie architecturale
À Figeac, de même que dans les autres bourgs cités, la logique et les caractéristiques dimensionnelles du parcellaire binaire ont conditionné les caractères typologiques des maisons. Dans les maisons courantes, la cheminée, bien souvent rapportée au XVe siècle, occupe l’un des murs mitoyens (fig. 14).
L’élévation postérieure, sur la venelle, porte les latrines, la niche d’évier et quelques baies d’aération, voire une porte de sortie (fig. 15).
L’architecture des élévations principales, sur la rue ou sur la traverse, indissociable de l’implantation de l’escalier d’accès aux étages, présente des caractères différents selon que la maison est en tête d’îlot ou en second rang. À Figeac, on constate en effet que les maisons de tête, étant toutes par définition des maisons d’angle, présentent sur la rue principale des arcades de boutiques (fig. 2), la porte d’entrée étant rejetée latéralement sur la ruelle où elle pouvait éventuellement être accompagnée par une baie de boutique secondaire. L’Hôtel de la Monnaie offre un exemple remarquable de ce type de maison à élévations sur rues différenciées. Les maisons courantes, ne disposant au contraire que d’une unique élévation sur rue, étaient contraintes d’associer en façade la porte d’entrée et les baies commerciales (fig. 5). La faible profondeur des parcelles (6 m environ), n’a généralement offert qu’un espace insuffisant pour loger la volée d’escalier unique permettant d’atteindre l’étage depuis la porte d’entrée, l’accès au rez-de-chaussée étant assuré par les baies des boutiques. La solution adoptée a consisté dans la plupart des cas à faire empiéter l’escalier sur la ruelle. Dans certains cas, un perron extérieur constitué par quelques marches de pierre a conduit à surélever simplement le seuil de la porte. On voit un exemple de cette disposition à Puy-L’Évêque (fig. 16). Une autre solution consistait à faire traverser la porte d’entrée par l’escalier ou à le faire arriver au nu extérieur de l’élévation. L’impossibilité de disposer du palier nécessaire à l’ouverture du battant de porte vers l’intérieur, a abouti dans ce cas à en inverser l’embrasure. Une illustration remarquable de ce dispositif original, où la porte traversée par l’escalier, bien qu’elle soit étroite, ouvrait à deux battants vers l’extérieur afin de restreindre son empiètement, était observable à Villeneuve-d’Aveyron il y a quelques années encore avant qu’un programme de réhabilitation n’en détruise les éléments anciens de la distribution intérieure (fig. 17-18).
L’embrasure de la porte, retournée vers l’extérieur comportait une feuillure en couvrement, empêchant de dégonder les vantaux une fois fermés (22).
D’autres exemples de portes d’entrée à embrasures retournées peuvent être observés à Figeac et, en général, dans le Haut-Quercy, par exemple à Saint-Céré et à Cajarc. À Figeac, on constate que les types d’habitation liés directement aux séquences de parcellaire binaire se retrouvent dans certains îlots apparemment non planifiés mais offrant des caractéristiques distributives et dimensionnelles comparables. C’est le cas notamment de la maison Peyrière, alias « du Griffon » (place Champollion), et de celles qui ont été récemment détruites partiellement pour accueillir le Musée des Écritures. Des maisons d’un autre type apparaissent en revanche dans les quartiers où se sont développés des parcellaires en bandes disjointes, plus classiques, sans doute après le milieu du XIIIe siècle (rue Émile-Zola). Cette constatation tend à valider l’hypothèse d’une adéquation du parcellaire binaire à un modèle de parcelle et d’habitation qui aurait cédé la place dans la seconde moitié du XIIIe siècle à des modèles moins contraignants. Cette piste de recherche reste à développer.