L’étude des sources administratives municipales toulousaines en matière d’urbanisme et de construction, permet d’analyser les rapports entre les autorités et l’espace urbain qu’elles avaient à gérer. Si elles interviennent effectivement sur les domaines connexes que sont l’hygiène publique et la sécurité (lutte contre les incendies), elles ne se montrent qu’assez peu soucieuses de conférer à Toulouse la régularité du réseau urbain et la beauté qui siéraient à la seconde ville du royaume. On peut cependant découvrir, au fil des documents, et en particulier dans leur lutte contre « l’empêchement des rues », les prémices d’une certaine pensée urbanistique que les édiles mettront en œuvre dans les premières décennies de l’Ancien
Régime.
Alain BADIN DE MONTJOYE, L’archéologie du parcellaire urbain médiéval, d’après l’étude de quelques immeubles de Grenoble
Au cours des vingt dernières années, des observations conduites à la faveur de travaux lourds de réhabilitation portant sur des quartiers entiers ont permis de découvrir certains aspects de l’habitat médiéval de Grenoble, puis d’en approfondir la connaissance. On considère aujourd’hui que la trame bâtie de la ville ancienne a dû être mise en place dès le XIIIe siècle. Cette trame est celle que dessinent les murs longitudinaux, séparateurs des parcelles, qui constituent le système porteur de tout le bâti. Toutefois, les informations recueillies à ce jour concernent essentiellement des espaces de faubourgs, créés au cours des XIe et XIIe siècles, et ne valent pas nécessairement pour l’ensemble de la ville médiévale.
En l’absence de toute étude sur les règles et usages qui prévalaient à Grenoble en matière de construction, d’occupation du sol, de mitoyenneté, c’est la lecture archéologique des murs qui seule peut permettre d’entrevoir les dynamiques à l’œuvre qui, au cours du Moyen Âge, ont façonné la morphologie du tissu bâti. À partir de plusieurs cas concrets ont pu être mises en évidence diverses formes du processus de densification et de transformations et proposées des hypothèses de restitution des états les plus anciens.
Gilles SERAPHIN, Un modèle de parcellaire médiéval : le parcellaire binaire
Les lotisseurs du Moyen Âge, confrontés au souci de rationaliser les parcellaires, ont eu le choix entre plusieurs modèles dont certains ont été mis en évidence à l’occasion des études dont les bastides méridionales ont fait l’objet. L’un des modèles les plus singuliers est celui qui a été mis en application à Villefranche-de-Rouergue, par l’administration capétienne au milieu du XIIIe siècle. Ce mode d’organisation parcellaire rythmé par doubles rangées perpendiculaires à la rue et alternant avec des ruelles de traverse est largement répandu dans le sud-ouest de la France. Il n’a cependant rien de local: on le retrouve également à Bilbao, dans le Piémont italien ainsi que dans certains quartiers de Paris.
Philippe BERNARDI, Écrire un chantier : la construction à travers les textes
Si l’apport des textes à notre connaissance de la maison médiévale n’est plus à démontrer, le développement de la pluri- ou interdisciplinarité a eu pour effet de souligner de manière particulièrement nette les filtres que l’écrit interpose entre le chercheur et ce que l’on pourrait désigner comme la réalité des chantiers. La terminologie technique méridionale est, dans ce domaine, l’un des écrans les plus évidents et, parfois, les plus opaques auquel l’historien soit confronté. C’est sur ce vocabulaire et sur les problèmes soulevés par son analyse que porte la présente contribution. Partant d’éléments réunis pour la Provence des derniers siècles du Moyen Âge, elle s’intéresse, en premier lieu, au rapport entre la source et le vocabulaire ou, en d’autres termes, à la cohérence de l’ensemble constitué par le texte. Les mots eux-mêmes sont abordés dans un second temps, considérés, tout d’abord, en tant que signes conventionnels dont on peut rechercher le ou les sens dans l’optique de l’élaboration d’un glossaire technique dont la forme et la pertinence sont à discuter. Les mots sont, enfin, étudiés dans leur dimension historique, comme des témoins ou des sources à part entière, afin de souligner le fait que l’attention prêtée à leur origine, leur évolution sémantique, leur substitution ou leur abandon peut aider à mieux cerner certaines évolutions techniques.
Nelly POUSTHOMIS, Essai sur la pierre dans la construction des demeures méridionales au Moyen Âge
Le thème proposé est vaste, à multiples facettes, et cette contribution ne saurait l’épuiser. Elle s’appuie sur des études publiées depuis un quart de siècle, étude sur les techniques, monographies ou synthèses régionales concernant la demeure médiévale dans le Midi de la France. Ce tour d’horizon permet de s’interroger sur la place qu’occupe la pierre dans la publication (et au travers d’elle, dans la recherche), sur les raisons de cette variabilité (origines des auteurs, conditions et angles d’étude, évolution de l’intérêt dans le temps). Au-delà de cette première réflexion, cet essai souhaite cerner les questions qui jalonnent l’usage de la pierre, depuis son extraction jusqu’à sa mise en œuvre, esquisser une grille d’enquête sur sa place et son rôle dans l’architecture civile médiévale du Midi de la France (XIe -XVe siècles). Parmi ces questions, figurent celles d’une spécificité méridionale (« une Europe de la pierre » opposée à « une Europe du bois » ?), d’un marqueur social (un matériau noble ?), d’une chronologie, ou d’éventuelles particularités propres à la maison, dans la mise en œuvre de la pierre, par rapport à d’autres types d’édifices.
Dominique BAUDREU, Claire-Anne DE CHAZELLES et François GUYONNET, Maisons médiévales du Sud de la France bâties en terre massive: état de la question
L’étude du bâti médiéval en terre crue dans le Sud de la France est une préoccupation récente. Depuis quelques années, entre la Provence rhodanienne et le Toulousain, les observations viennent combler le déficit des données sur la mise en œuvre de la terre massive, qu’il s’agisse de bauge ou de pisé.
Dans des bâtiments de plusieurs étages, la terre crue assume seule le rôle porteur. Quelques exemples carolingiens témoignent de l’ancienneté de la bauge mais, actuellement, aucun témoignage sur le pisé n’est antérieur à la fin du XIIe – début XIIIe siècle.
C’est en milieu urbain que les découvertes récentes sur l’architecture de terre sont les plus spectaculaires. Dans plusieurs villes, les études préalables à la réhabilitation d’îlots insalubres ont révélé les maisons en terre de lotissements médiévaux. Les vestiges sont suffisamment importants pour permettre d’esquisser les restitutions de ce type d’habitat.
Anne-Laure NAPOLEONE, Les demeures médiévales en pans de bois dans le sud-ouest de la France : état de la question
Les études effectuées ces dernières années sur les demeures médiévales ont montré que le pan de bois avait une place plus ou moins importante dans les villes de la région. Malheureusement, les traces de ces constructions ne sont conservées le plus souvent qu’en négatifs et les vestiges proprement dits restent rares ou difficiles à reconnaître. Il a été possible cependant de pointer quelques édifices susceptibles d’être antérieurs au milieu du XVe siècle, de rares analyses dendrochronologiques venant parfois confirmer cette ancienneté. Sans pouvoir encore brosser un tableau détaillé des différentes mises en œuvre du pan de bois médiéval, on peut entrevoir désormais deux types d’élévations. On soupçonne également une grande variété de cas de figures selon les époques et les régions, mais il faudra sans doute multiplier les études pour mieux les définir. Il reste néanmoins urgent d’étudier ces vestiges fragiles qui perdent à chaque campagne de travaux de leur lisibilité et dont le corpus s’amenuise année après année.
Pierre GARRIGOU GRANDCHAMP, Réflexions sur les structures constructives des maisons urbaines dans le Midi de la France entre le XIIe et le XVe siècles
Le propos est de passer en revue les modes constructifs qui assurent la statique et le couvrement des espaces habitables. En d’autres termes, il s’agit de décrire les modalités adoptées pour réaliser l’enveloppe des bâtiments, puis les structures internes de division des volumes: sont en cause aussi bien les structures verticales, qui répondent notamment au rôle d’organes porteurs, que les structures horizontales. Cette question n’a, en effet, guère fait l’objet d’essais de synthèse et les partis constructifs des maisons sont abordés, en général, sous l’angle de problématiques partielles, mise en œuvre des murs ou charpentes le plus souvent. Si l’ambition est d’ordre typologique, elle ouvre aussi sur des interrogations fécondes quant à la compréhension des édifices eux-mêmes et aussi quant aux processus mentaux et économiques qui ont conduit à un choix plutôt qu’à un autre. Chemin faisant, on se demandera s’il y a des particularismes régionaux et, le cas échéant, à quelles conditions ils répondent. Cette enquête n’ayant pas encore été menée à vaste échelle, il s’agira plus à ce stade de présenter des observations et de poser de questions que d’apporter systématiquement des réponses.
Diane JOY, Formes et fonctions des caves des maisons médiévales du sud de la France
Le sud de la France présente a priori peu de villes avec des maisons aux caves médiévales réputées et étudiées. Lille, Douai, Provins, ou Vézelay n’auraient pas leur pendant dans des contrées plus méridionales.
Bayonne ou Riom conservent cependant de riches corpus de caves remarquables, anciennement connus. Ailleurs, les recensements systématiques ou les études entreprises ponctuellement entraînent des découvertes qui laissent entrevoir toute la richesse de ce patrimoine. Ce constat est valable pour l’ensemble du bâti civil médiéval, mais il est encore accru pour les caves puisque celles-ci peuvent être conservées sous des villes reconstruites aux époques moderne et contemporaine. Elles permettent alors d’approcher l’habitat auquel elles étaient liées, mais sont également les témoins tangibles d’une ville disparue. Les caves les plus frustes, creusées dans le substrat rocheux, offrent peu de possibilité de datation ou d’appréhension de leur fonction. Les caves architecturées, le plus souvent voûtées, semblent d’un abord plus aisé. Elles déclinent cependant parfois une variété de formes et structures peu propices à la datation. Les équipements propres à un usage particulier sont très rares dans les caves. La distribution, le traitement des ouvertures et plus largement les partis architecturaux adoptés, visant à augmenter l’espace utile, tendent à en faire des espaces les plus polyvalents possibles, et ce malgré leur situation enterrée. Outre leur fonction première de stockage des denrées, les caves peuvent ainsi servir de boutiques, plus rarement semble-t-il d’ateliers et parfois de lieux de production viticole. Mais il reste le plus souvent difficile de définir les fonctions de ces espaces peu caractérisés. Les textes appuient parfois la réflexion sur les usages, même s’ils sont rares et si leur étude est trop peu souvent liée à celle des élévations. Les études archéologiques du bâti et de la stratigraphie restent, quant à elles, encore trop peu nombreuses.
Maurice BERTHE, Les élites des bourgs castraux dans le Midi toulousain aux XIIIe et XIVe siècles
Dans plusieurs des régions du Sud-Ouest, l’armature des lieux centraux, petites villes et bourgs ruraux, était constituée au Moyen Âge des bourgs castraux qui combinaient tous les critères urbains déterminants, démographique, administratif et judiciaire, économique et religieux, superficie du ressort, topographique et urbanistique (architecture civile et domestique de type urbain), participation aux assemblées représentatives régionales. Tous, quel que fût leur degré de réussite et leur taille, ont eu en commun un fait spécifiquement urbain, la genèse de formations sociales inconcevables dans un cadre purement rural. Le fait urbain est ici leur capacité à engendrer durablement des élites représentatives ailleurs des sociétés urbaines.
L’étude se focalise sur la petite ville de Lautrec, chef-lieu d’une vicomté de l’Albigeois. La riche documentation des XIIIe, XIVe et XVe siècles, notamment le précieux registre Domanial de Lautrec qui consigne les résultats de l’enquête effectuée en 1338-1339 pour le compte du roi de France, nourrit une analyse fouillée de la composition du groupe dominant et de ses transformations, une approche de la hiérarchie des fortunes.
La description des modes successifs de domination par ces élites du vaste territoire de la ville et de la châtellenie vicomtale qui en dépendait, permet de proposer une explication de la puissance et de la pérennité de ce groupe. Les sources révèlent surtout que les élites de Lautrec, ville témoin de cette étude, sont représentatives de l’ensemble des élites des « villes champêtres » du Sud-Ouest.
Jean CATALO, Cuisines et foyers, exemples dans la maison urbaine médiévale du sud-ouest de la France
La cuisine, pièce d’habitation à fonction spécifique de préparation et de cuisson des repas, fait son apparition dans la maison médiévale urbaine bien après son émergence dans les châteaux ou les monastères. Les exemples de mentions dans les sources écrites, d’étude du bâti d’édifices conservés, et d’archéologie urbaine, en donnent une image assez diversifiée.
Malgré des identifications parfois difficiles, ces différentes approches se rejoignent sur des points communs quel que soit le type d’agglomération concerné: bourg, ville moyenne ou métropole. Espace ou pièce distincte à partir du XIIIe siècle, les cuisines répondent à un phénomène d’extériorisation et de subordination par rapport à une salle ou au corps principal d’un logis. Ces quelques exemples du sud-ouest de la France, conduisent à penser que ni la distinction sociale, ni le modèle architectural ne conditionnent l’existence d’une cuisine dans ou autour de la maison. En revanche, ces deux caractères définissent probablement la superficie, la qualité de l’équipement, l’autonomie et la localisation de l’espace destiné à la cuisine.
Yves ESQUIEU, Armarium : mobilier et espaces de rangement dans les maisons médiévales du sud-est de la France
Les espaces et meubles de rangement dans les maisons médiévales nous sont connus à la fois par des textes (inventaires après décès et prix-faits de construction surtout) et par les réalités monumentales. Il n’y a pas toujours concordance entre ces données. Les textes mettent en avant un type de meuble que l’on retrouve dans toutes les pièces d’habitation: le coffre ou la caisse, avec leur variante, le banc-coffre ou archibanc, meuble apte à conserver tout ce que l’on doit garder dans une maison: réserves de nourriture, vêtements, literie, armes, livres, documents d’archives… L’étude des maisons conservées en élévation nous livre de façon récurrente des armoires aménagées dans l’épaisseur des murs, parfois liées, dans une phase tardive, à un évier. Si ce dispositif, connu sous le nom d’armarium, apparaît bien dans les prix-faits, il est peu cité dans les inventaires. Lorsque le terme apparaît dans ces textes, il recouvre d’ailleurs des réalités diverses: meuble de bois le plus souvent, petite pièce, notamment sous les volées d’escalier, armoire murale.
Yan LABORIE et Patrice CONTE, Stocker et conserver dans l’habitat urbain médiéval du sud-ouest de la France (XIIe -XVe siècles)
Depuis trente ans la connaissance de la maison médiévale a notoirement progressé grâce à la prise en compte du bâti et à l’archéologie des sols permettant un large renouvellement des approches architecturales et de l’organisation interne de l’habitat. Toutefois, la question des « manières d’habiter » et plus spécifiquement celle de la gestion des denrées, qu’elles soient de subsistance ou commerciales, demeure encore peu documentée. Si les travaux des historiens de la vie privée livrent des informations nombreuses et souvent précises concernant les denrées stockées, la relation que l’on doit établir avec les vestiges conservés des maisons médiévales reste encore bien délicate à établir.
La présente communication se propose, grâce à plusieurs exemples essentiellement inédits, de tenter de dresser une sorte de géographie intérieure de la maison à travers la gestion des denrées et des lieux de stockage. On cherchera ainsi, par l’exploitation conjointe des données archivistiques et archéologiques à appréhender la place d’un certain nombre de produits (grains, vin…) dans la maison et la question de l’utilisation des « lieux de stockage », qu’ils soient mobiliers ou immobiliers. La spécificité fonctionnelle de certains espaces de la maison, comme les caves par exemple, sera également abordée et discutée.
L’apport de l’enquête en cours reste encore très partiel faute d’une documentation suffisante, mais permet peut-être de contribuer à l’élaboration de perspectives de recherches futures concernant l’archéologie de la maison urbaine du sud-ouest de la France.
Véronique LAMAZOU-DUPLAN, Décors, parures et couleurs des intérieurs toulousains d’après les registres notariés de la fin du Moyen Âge
Les inventaires après décès et autres documents (ventes à l’encan par exemple) repérés dans les registres notariés permettent de se faire une idée de la distribution, des aménagements des demeures toulousaines des XIVe et XVe siècles, en particulier de celles des notables mais pas seulement. Des éléments du décor filtrent parfois à travers la description des différents espaces (ornements d’un portail, aménagements des baies, de niches, murs peints…)
Mais ces listes égrènent surtout les objets mobiliers, précieux ou de modique valeur, rares ou communs, qui meublent et ornent ces intérieurs: meubles, des plus répandus aux plus uniques; vaisselle, de la cuisine à la table, souvent d’étain mais aussi en argenterie; des objets raffinés et personnels tels que des nécessaires de toilette, à écrire, des tables de jeux, des sceaux… Le linge de maison est enfin très abondant: linge de table, de lit, coussins et carreaux, banquiers et tentures (courtines, pare-feu, tentures murales ou draps peints…). Ces textiles d’ameublement composent, chez les plus riches Toulousains, un décor coloré et raffiné, armorié, voire historié.
Ces différents objets participent d’abord à l’organisation de l’espace, répondent à diverses nécessités et fonctions domestiques. Ils sont aussi des marqueurs sociaux et culturels qui permettent de déceler hiérarchies sociales et écarts de train de vie, qui laissent entrevoir les modes, références et codes culturels de ces Toulousains. En ce sens, ces éléments du décor peuvent être aussi appréhendés comme des marqueurs de la supériorité sociale, de la notabilité et de l’urbanité toulousaines.
Virginie CZERNIAK, Les sujets historiés dans les décors peints des demeures médiévales méridionales
Les décors peints aujourd’hui connus dans l’architecture médiévale non cultuelle sont majoritairement ornementaux et ont pour fonction première l’embellissement des lieux de vie concernés. Si certains sujets historiés relèvent strictement des mêmes préoccupations, d’autres proposent en revanche des thèmes, voire des programmes, dont la teneur iconographique illustre plus ou moins directement la fonction sociale du commanditaire. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que pour les XIIIe et XIVe siècles, les évocations du monde de la chevalerie semblent être les sujets les plus couramment plébiscités, alors que pour la fin du Moyen Âge, on rencontre un corpus iconographique d’une plus grande diversité – thèmes à caractère moralisateur, burlesque ou romanesque –: une variété thématique vraisemblablement plus en adéquation avec la nouvelle pluralité de la société civile.